mercredi 13 mars 2024

Mort de l'Amiral Philippe De Gaulle

 Article de Marion Cocquet pour le journal Le Point (13/03/2024)

© CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP


Un géant s'est éteint. L'amiral Philippe de Gaulle, fils du général de Gaulle, est mort dans la nuit du mardi au mercredi 13 mars, a fait savoir sa famille auprès de BFMTV. Il était âgé de 102 ans.

Nous sommes le 9 novembre 1970. À Colombey, le Général meurt d'une rupture d'anévrisme alors qu'il attend le journal télévisé et le repas du soir, assis près de sa femme dans son fauteuil de tous les jours. On prévient les amis et les enfants. Philippe, l'aîné, arrive le lendemain à La Boisserie. Il se recueille devant le corps, l'embrasse puis, avant de faire fermer le cercueil rustique apporté par le menuisier du village, il effleure l'arrière du crâne. Pour savoir, racontera-t-il, si son père et lui avaient bien le même méplat en haut de la nuque. Affirmatif.

 

C'est la première fois ce jour-là que « l'Amiral », à près de 50 ans, touche la tête de son père. On se caressait peu, dans la famille de Gaulle, pas plus en privé qu'en public. Ce que le grand Charles avait de mots doux et de douceur dans les gestes, il le réservait à Anne, sa fille trisomique morte à 20 ans dans ses bras. Philippe, lui, eut la confiance sans les effusions ainsi qu'une exceptionnelle ressemblance avec le grand Charles : mêmes paupières lourdes, même stature haute et droite, mêmes longs bras, même façon de les écarter un peu en parlant. Même méplat.

Philippe raconte cela dans Charles de Gaulle, mon père (Plon), écrit à 80 ans avec le journaliste Michel Tauriac. Quatre-vingts ans, l'âge du Général au moment de sa disparition. Il ne songe pas à se plaindre de ces froideurs, trop occupé à restaurer la légende dorée de son père. En faisant ce livre, il voulait, disait-il, « remettre les pendules à l'heure » et effacer les mauvais procès faits à de Gaulle : son antisémitisme supposé, sa volonté prétendue d'avoir voulu « brader » l'Algérie. Le résultat est une hagiographie qui rétablit des vérités mais gomme certains épisodes pourtant bien documentés (comme lorsqu'elle nie le bras de fer entre de Gaulle et Churchill, lors de l'appel du 18 juin).

C'est un formidable succès : plus de 500 000 exemplaires sont vendus de chacun des deux tomes. Un paradoxe, aussi. En défendant la statue du Commandeur, l'Amiral quitte enfin son ombre et devient un personnage public. Y trouve-t-il du plaisir ? On peut le supposer à le voir multiplier les plateaux télé, y compris les moins adaptés à sa gravité d'un autre âge.

« Je lui étais semblable, dans le petit »

Qu'a été sa vie, avant cela ? Il naît le 28 décembre 1921, à Paris. Élève au collège Stanislas, il dévore les romans de Paul Chack, officier de marine et écrivain (qui sera exécuté à la Libération pour avoir activement collaboré avec l'occupant nazi). Très vite, Philippe s'oriente vers une carrière militaire et entre en 1940 à l'École navale. Le 18 juin, il est en route vers Londres avec sa mère et ses s?urs et « manque » l'appel de son père. Il rejoint immédiatement les Forces françaises libres, débarque en Normandie parmi les premiers, participe à la sanglante bataille d'Alsace et à la libération de Paris. Il glane là ses premières médailles.

 

Vaillant, donc. Cela allait de soi. C'est lui qui doit rappeler ses faits d'armes à son père lorsque celui-ci rédige ses Mémoires de guerre. « Ah oui, c'est vrai », répond Charles, qui ajoute alors dans le manuscrit cette phrase, un brin laconique : « Mon fils continue de se battre avec la 2e DB. »

Après-guerre, Philippe poursuit sa carrière dans la marine, une arme pourtant hostile au Général et où on lui pardonne difficilement son ascendance. Il sera, toute sa vie, soupçonné d'avoir bénéficié de hautes protections. On l'appelle Sosthène, du nom d'un vicomte de La Rochefoucauld, piètre militaire et piètre politique, connu pour avoir allongé les robes des danseuses de l'Opéra et caché à coups d'emplâtre les nudités des statues. « J'aurais pu naître fils de Pygmée ou de Bantou, confiait-il au Figaro en 2003. Le sort en a décidé autrement. Il m'a beaucoup transmis. Je lui étais semblable, dans le petit » Philippe racontait aussi qu'un jour, tout de même, le général avait posé sa grande main sur la sienne et dit : « Je sais tout, vieux garçon. Ta position n'a jamais été facile. Ce n'est pas rien d'être le fils du général de Gaulle. Mais ton attitude a toujours été celle que j'attendais de toi. »


Video associée : https://www.dailymotion.com/video/x8ubik4



vendredi 23 février 2024

Ce que je n’ai pas eu le temps de dire à mon Père

 

Le 22 Janvier 1963 le Général De Gaulle et le Chancelier Konrad Adenauer signèrent un traité d'amitié franco-allemande dit « traité de l’Elysée ». Ce document fixait le cadre d’une coopération bilatérale avec le double objectif d’enterrer d’une part la hache de guerre à l’issue d’une période de soixante-dix ans marquée par trois conflits dont deux mondiaux, et d’autre part la volonté gaulliste d’en faire le moteur du bloc européen. Cette volonté politique s’inscrivait au sein d’une structure économique préexistante, la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) crée en 1951, remplacée par la CEE en 1957.

 

Dans la foulée du traité de l’Elysée, fut institué en 1963 l’Office franco-allemand pour la Jeunesse. René Peyre, alors chargé de mission au sein du cabinet du ministre des PTT Jacques Marette, organisa à partir de 1964 des rencontres de fils et filles de postiers français et allemands dont René Duclos repris le flambeau en 2009 à la tête de l’Association Nationale des PTT Anciens Combattants et Victimes de Guerre.

 

Le couple franco-allemand semble aujourd’hui tenir le coup, malgré quelques vicissitudes et le poids toujours plus grand d’un pays devenu en 2023 la troisième puissance économique mondiale. Sous l’influence des deux partenaires, l’Europe s’est agrandie et confortée à travers la création du Conseil européen en 1975, de l’élection du Parlement européen au suffrage universel direct en 1979 ou encore la signature du traité de Maastricht (1992) et la mise en circulation d’une monnaie unique, l’euro, en 2002. L’image forte du geste de Verdun le 22 septembre 1984 entre François Mitterrand et Helmut Kohl reste dans les mémoires.

 

On a pu craindre qu’une marche à pas forcés de la réconciliation franco-allemande suscite une lecture aseptisée du passé s’exerçant au détriment du devoir de mémoire. Le fort engagement de Madame Simone Veil pour la construction européenne et le discours historique de Jacques Chirac prononcé en 1995 lors des cérémonies commémorant la grande rafle du Vel’ d’Hiv’ des 16 et 17 juillet 1942 dissipent cette inquiétude. Par ailleurs René Peyre artisan du rapprochement entre les deux pays fut un des premiers à monter au créneau, lorsqu’à la tête de l’UFAC il s’opposa à la volonté du Président Giscard d’Estaing de ne plus célébrer l'anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale au profit d’une journée de l’Europe du 9 Mai.

 

Pour ma part, je fus l’humble témoin de la persistance de cette bilatéralité. J’ai effectué ma carrière au sein de l’opérateur historique des Télécommunications. Fin des années 90, début des années 2000, le secteur était alors en pleine effervescence entre bulle spéculative boursière, stratégies d’alliances et création d’un régulateur (ARCEP). Je fus intégré au sein d’une équipe projet de refonte du système informatique descriptif et productif des réseaux de transmission français. Ce vaste projet imposait avant tout choix d’une application unique, le préalable de la création d’un langage commun, et de la fiabilisation des données utilisées par les diverses applications régionales existantes. Ce travail effectué, vint le choix du produit final. Deux candidats s’opposaient. Une base de données hexagonale bien adaptée à la complexité de notre réseau alors – une fois n’est pas coutume ! - supérieur au réseau allemand. Et une application d’Outre Rhin. A l’époque couraient des rumeurs de stratégies d’alliance avec Deutsch Telecom. Et contre toute attente le choix politique l’emporta sur le choix technique. Salarié d’une entreprise autrefois « simple Direction Générale » du Ministère des P.T.T, je saluai, admiratif, dans cette décision, l’ombre portée de mon père, initiateur au sein de cette administration de la réconciliation franco-allemande.

 

Jean-Louis Peyre, retraité Orange.

 

 

Sources :

 

Le traité d'amitié franco-allemand – Wikipédia

 

La Communauté économique européenne – Jules Lastennet

 

Un anniversaire morose pour le couple franco-allemand – Le Monde Diplomatique - Anne-Cécile Robert

 

Biographie : Simone Veil, fervente avocate de la construction européenne – revue Toute l’Europe, comprendre l’Europe

 

Cahiers d’Histoire, revue critique - La réconciliation franco-allemande : crédibilité et exemplarité d’un « couple à toute épreuve » ? - Valérie Rosoux

 

René Peyre a été président de l’UFAC entre 1969 et 1996 et président de l’Association Nationale des PTT Anciens Combattants et Victimes de Guerre entre 1972 et 2009.

samedi 8 juillet 2023

Léon Gauthier 1922 - 2023

 


Dernier membre vivant du commando Kieffer, cette unité d'élite française qui débarqua sur les plages de Normandie le 6 juin 1944, Léon Gauthier vient de décéder le 3 juillet 2023 à Caen. Apprenti carrossier, il avait intégré la marine à l'âge de 17 ans et rejoint les Forces Françaises Libres du Général de Gaulle.

L'exemplarité de son destin a été évoqué par le Président Macron lors de l'hommage national rendu à Ouistreham où l'ancien Fusillier marin avait élu résidence. M'est alors revenue en mémoire la séquence finale du film Il faut sauver le soldat Ryan, qu'affectionnait notre père. 

Avons nous tous eu, Français, une existence, un comportement, une solidarité qui justifièrent un tel sacrifice ? J'ai un doute.



lundi 8 mai 2023

Les 80 ans de la mort de Jean Moulin

 



Les lignes qui suivent sont extraites d’un article de René Peyre publié en Septembre 2002 dans le journal des anciens combattants PTT « Notre voix ». Intitulé « Destin » il relatait la publication d’un livre d’entretien de Laure Adler avec Pierre de Benouville sur son parcours et ses années de résistance. René Peyre en fait une lecture critique et aborde le chapitre dramatique de l’arrestation de Jean Moulin le 21 Juin 1943 par les troupes de Barbie.

  

 … A Lyon, capitale de la résistance, l'étau se resserrait autour des dirigeants de l'armée secrète (AS).

La Gestapo et la milice procédaient à de nombreuses arrestations e| recherchaient MAX (Jean MOULIN).

 Le Général DELESTRAINT promu chef d'Etat major de l'AS voulu rencontrer à Paris René HARDY responsable du sabotage ferroviaire.

 Henri AUBRY chef d'Etat major adjoint écrivit en clair à HARDY (DIDOT) e fit déposer la correspondance dans une boîte aux lettres qu'il savait surveillée par les allemands.

 Son imprudence, ou sa trahison, provoqua une cascade d'événements graves : l'arrestation de HARDY en gare de Chalon-sur-Saône, celle du Général DELESTRAINT à Paris et celle des résistants réunis à Caluire.

 Apprenant l'arrestation du Général DELESTRAINT, Jean MOULIN décida de convoquer rapidement une réunion pour désigner son remplaçant. La réunion eut lieu le 21 juin 1944 à Caluire dans la villa du Dr DUGOUJON.

 Cette villa ne comportait aucune issue de secours. D'autre part, les organisateurs n'estimèrent pas nécessaire d'assurer la protection de la réunion. C'est tout de même surprenant !

 Réunion prévue à 14H30.

 AUBRY, HARDY et LASSAGNE arrivent à 14H20. Jean MOULIN, Raymond AUBRAC et CHWARTZFELD n'arrivent qu'à 15 heures.

 Cinq minutes plus tard, BARBIE et ses hommes pénètrent dans la villa et arrêtent tous les résistants, sauf René HARDY, qui parvient à s'enfuir d'une manière rocambolesque, il est vrai !

 BARBIE a réussi son coup de filet. L'AS est décapitée. Il sait que parmi les prisonniers se trouve Jean MOULIN (MAX), le représentant du Général DE GAULLE en France. La résistance accuse le coup et prend immédiatement les dispositions nécessaires pour limiter les conséquences de l'opération de Caluire. Tous les prisonniers, sauf HARDY, sont transférés dans les locaux de l'école de santé militaire de Lyon, avenue Berthelot, siège de la Gestapo. Dans les caves, sous la torture, les interrogatoires commencent.

 Ladislas DE HOYOS, dans son livre « BARBIE » se réfère au souvenir de Raymond AUBRAC : « J'ai vu AUBRY dans la cour de Montluc, torse nu, il était noir de coups. Il m'a dit : J'ai été battu, j'ai parlé ! ».

 Pierre PEAN dans « Vies et morts de Jean MOULIN » écrit : « Depuis le 27 Juin, MISSELWITZ a pris en charge Henri AUBRY. Au bout d'une semaine, grâce à AUBRY, il connaît tout ou presque tout de ce qui s'est passé à Caluire, tout de l’armée secrète, tout des MUR (Mouvements Unis de Résistance), tout de « Combat ». AUBRY crache tout ce qu'il sait sur la résistance ». Jacques BAUMEL son livre « Résister »: «Quand les nazis ont arrêté nos camarades, ils ne savaient pas lequel était MOULIN.  Ils se sont affreusement acharnés sur LASSAGNE qu'ils avaient d'abord pris pour le délégué du Général DE GAULLE. Puis est venu le tour d'Henri AUBRY qui, lui aussi, aura été épouvantablement martyrisé. Il semble établi aujourd'hui que c'est lui qui a désigné MOULIN à ses bourreaux ».

 AUBRY fut libéré en Novembre 43.

 Ladislas DE HOYOS dans son livre « BARBIE » cite ce témoignage de Christian PINEAU chargé par les allemands de raser MOULIN dans la cour de la prison du fort Montluc à Lyon : « MAX a perdu connaissance, ses yeux sont creusés comme si on les avait enfoncés dans sa tête, je me penche sur MAX, celui-ci prononce cinq ou six mots en anglais que je ne comprends pas ».

 Christian PINEAU m'a décrit cette scène et je me suis posé la question pourquoi Jean MOULIN s'exprimait-il en anglais plutôt qu'en français, ne voulait-il pas faire passer un message, donner une piste ?

 Quoi qu'il en soit, après les interrogatoires de BARBIE à Lyon, les prisonniers vont subir les interrogatoires des agents d'Oberg et de Knochen dans les servie la Gestapo avenue Foch à Paris, sauf HARDY en cavale et AUBRAC maintenu dans la prison Montluc à Lyon d'où il s'évadera au cours d'une opération montée par Lucie AUBRAC et quatorze hommes des groupes francs.

 Un autre résistant arrêté à Caluire, Bruno LARAT, durement interrogé à Lyon est déporté dans le camps de Dora où il meurt d'une pneumonie en avril 44. Transféré à Paris en voiture en raison de son état de santé, Jean MOULIN meurt le 8 juillet 43 dans le train qui le conduit en Allemagne.

 Evidemment, au lendemain du drame de Caluire, les chefs de la résistai recherchent le traître qui a livré leurs camarades à la gestapo. Pierre PEAN écrit dans son livre « Vies et morts de Jean MOULIN » : « Dans le camp des amis collaborateurs de Jean MOULIN et autour de Lucie AUBRAC on est persuadé que le traître de Caluire n'est autre que René HARDY ». Lucie AUBRAC est même chargée de l'empoisonner en lui faisant parvenir un petit pot de confiture agrémenté de cyanure.

 Ecoutons Jacques BAYNAC auteur du livre « Les secrets de l'affaire Jean MOULIN » : « Le 21 c'est sur les pas de Jean MOULIN, dans les cinq minutes suivent son entrée chez le docteur DUGOUJON que BARBIE et ses hommes font irruption. S'ils y étaient arrivés en filant HARDY ils auraient surgi quarante minutes plus tôt et MOULIN alerté par le remue-ménage, les voitures, les gardes armés, les badauds attroupés, aurait passé son chemin ». Cela paraît évident.

 René HARDY a comparu deux fois devant un tribunal. Deux fois il a été acquitté. J'ai assisté aux deux procès. René HARDY était défendu par Maître Maurice GARÇON un des ténors du barreau de l'époque. Au cours du deuxième procès Maître Maurice GARÇON a vivement interpellé un témoin, Mme DELETRAZ.

 Mme DELETRAZ a prétendu que BARBIE lui avait demandé de suivre HARDY et qu'elle avait tenté de prévenir la résistance. Pierre PEAN parlant de cet agent double écrit : « Elle avait déjà prouvé son dévouement à Klaus BARBIE et à son amant MOOG, agent de la Gestapo, en permettant l'arrestation à Mâcon de Bertie ALBRECHT, l'adjointe et l'amie d'Henri FRENAY le chef du mouvement « Combat ». Quelques jours auparavant, Bertie ALBRECHT et Henri FRENAY séjournaient à Cluny chez M. et Mme GOUZE futurs beaux-parents de Francois MITTERRAND.

 Jacques BAUMEL, Secrétaire Général des MUR nourrit la plus grande admiration pour Bertie ALBRECHT arrêtée le 28 mai 1943 à Mâcon, inhumée au cimetière de Fresnes le 7 juin 1943.

Bertie ALBRECHT écrit-il « l'une des plus pures héroïnes de la résistance » croix de la libération à titre posthume « a probablement eu le tort de mourir. La postérité aime assez les grands témoins encore vivants, dont on fait des idoles qui vont dans les écoles et sur les plateaux de télévision ».

Revenons au drame de Caluire.

HARDY est-il un traître ou plutôt un bouc émissaire ? En l'accusant voulait-t' on, veut-on encore protéger une personne ou un groupe de personnes ? Ne disait-il pas : « J'ai été cocu dans cette affaire ? ».

 Pierre de BENOUVILLE a témoigné en faveur de son ami René HARDY au cours des deux procès. Il l'a protégé jusqu'à sa mort. Mais il lui a reproché d'avoir écrit dans son livre « Derniers mots » qu'il l'avait prévenu de son arrestation. C'est surprenant. D'autant plus que Pierre PEAN écrit dans « Les diaboliques de Caluire » : BENOUVILLE savait fort bien que HARDY avait été arrêté par les allemands dans train de Paris dans la nuit du 7 au 8 juin 43, ainsi qu'il m'en a lui-même fait plusieurs fois la confidence ». C'est un témoignage irréfragable.

 Pierre de BENOUVILLE dira à Laure ADLER : « J'ai la preuve que HARDY n'a pas trahi ». C'est dommage qu'il n'ait pas jugé opportun de donner cette preuve avant de mourir.

 Le téléfilm d'Yves BOISSET proposé sur la 2eme chaîne de télévision le 16 juillet dernier m'a déçu. Il n'apporte aucun élément nouveau et ne respecte pas la vérité historique. Le réalisateur montre MOOG, agent de la Gestapo qui suit HARDY dans les rues de Caluire. Il ne montre pas Mme DELETRAZ qui précédait les allemands. Quand on veut appeler l'attention de la population sur un événement historique, l'honnêteté intellectuelle exige que l'on vérifie ses sources et que l'on n’essaye pas d'escamoter la vérité. Le lendemain, dans le « Parisien » du 17 juillet un journaliste rendant compte de l'émission écrivait : « Le film fait état de trahisons qui ont vraiment existé et laissent entendre que d'anciens membres de la cagoule auraient aussi une responsabilité dans le drame ».

 Est-ce une autre piste ? Quel rôle a véritablement joué Lydie BASTIEN ?

 De très nombreux historiens et journalistes ont écrit des livres sur le drame de Caluire dans lesquels ils publient des documents, des interviews de BARBIE, du couple AUBRAC, de BENOUVILLE, du Dr DUGOUJON, de l'avocat VERGES, de Lydie BASTIEN. Lucie AUBRAC a fait condamner Gérard CHAUVY, qui dans son livre « AUBRAC » se posait des questions sur les évasions de Raymond AUBRAC à Lyon, et sur les contacts de Lucie AUBRAC avec Klaus BARBIE...

 Faut-il supposer que le drame de Caluire est la conséquence d'une trahison, d’une vengeance, d'un complot ? Faut-il croire René HARDY lorsqu'il écrit : « Il n'y a pas un coupable, je crois simplement que certains d'entre nous n'avaient pas pris de précautions suffisantes ». Le drame de Caluire restera sans doute une énigme et fera encore couler beaucoup d'encre. Quoi qu'il en soit j'espère que les jeunes générations se souviendront surtout de la valeur patriotique et militaire de la résistance et de l'héroïsme de Jean MOULIN auquel André MALRAUX a rendu un vif hommage le 19 décembre 1964 au moment du transfert de ses cendres au Panthéon » :

 « Aujourd'hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n'avaient pas parlé, ce jour-là, elle était le visage de la France ».

 Puisse notre jeunesse s'inspirer du courage et du patriotisme de ceux qui risqué leur vie pour sauver la France et notre civilisation.

jeudi 26 janvier 2023

60eme anniversaire du Traité de l'Elysée - 22 Janvier 2023

 

DISCOURS DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE A L’OCCASION DE LA CÉLÉBRATION DU 60ÈME ANNIVERSAIRE DU TRAITÉ DE L’ÉLYSÉE.


Monsieur le Chancelier, Cher Olaf, 
Mesdames les présidentes du Bundestag et de l'Assemblée nationale, 
Monsieur le président du Bundesrat, 
Monsieur le vice-président du Sénat, 
Mesdames et Messieurs les ministres, 
Mesdames et Messieurs les parlementaires, 
Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, 
Monsieur le recteur, 
Chers jeunes Allemands, Français, Européens,

Mesdames et Messieurs, chers amis,

Je suis très heureux, très heureux de vous retrouver pour célébrer comme vous venez de le faire à l’instant, tous trois, l'amitié franco-allemande entre nous, et avec vous, représentantes et représentants de nos parlements, nos gouvernements, nos sociétés civiles et nos jeunesses. 

Nos deux pays, jumeaux d'histoire et de destins, ont vécu tant d'années en miroir, dans la forge même de leur identité. Ils ont alterné pendant tant de siècles entre l'émulation, la fascination, la compétition. Unis sous la même couronne franque, jusqu'à ce que l'histoire ne les sépare – car il y eut,  mille ans avant les tranchées de Verdun, le traité de Verdun. Rivaux ou alliés, ennemis jusqu'à la déraison, au cours de l'époque où l'on comptait ce temps commun au rythme des guerres, avant, entre et après. Si bien que parler de l'Allemagne, pour un Français, c'est toujours parler d'une part de soi-même. 

Pourtant, il a fallu, pour accepter cette part respective d'altérité si proche, d'identité si confondante, l'acte fondateur que nous commémorons aujourd'hui. Le 22 janvier 1963, l'Allemagne de Konrad ADENAUER et la France du Général DE GAULLE accomplissaient un immense geste de courage. 

Ce jour-là, nos deux pays qui avaient été les plus âpres ennemis, décidaient de devenir les plus étroits alliés. Ils refermaient presque cent ans de guerre moderne et de tragédie universelle que nous rappellent encore aujourd'hui les rangées de croix s'étendant à l'infini dans nos cimetières militaires. 

Ce jour-là, en scellant leur réconciliation, nos deux pays décidaient d'ouvrir « toutes grandes les portes d'un avenir nouveau pour l'Allemagne, pour la France, pour l'Europe et par conséquent pour le monde », selon les mots du Général DE GAULLE. Soixante ans après sa signature, le Traité de l'Élysée demeure le socle de ce lien inaltérable, exemplaire entre nos deux pays, unis pour la paix, la liberté, la défense de nos valeurs démocratiques. Unis dans le rêve commun de l'Europe à la faveur de  mille fibres tissées d'une rive à l'autre du Rhin à travers ces routes millénaires. 

Oui, nous sommes toutes et tous aujourd'hui les enfants de ce courage, convoqué au-delà des épreuves, par une génération sur laquelle plusieurs fois la guerre avait laissé sa marque, qui refusait de léguer la fatalité du combat et du chagrin à la suivante et qui pour cela, fondait son espoir sur la jeunesse. Et nous devons à ces fondateurs de sans cesse enseigner à la génération suivante le chemin parcouru, d'expliquer et d'enrichir encore cette victoire de l'amitié, si parfaite aujourd'hui que ses racines douloureuses pourraient s'oublier. 

C'est pourquoi cette amitié se doit de ne jamais cesser d'être ce qu'elle est. Pour détourner une formule qui jadis était employée pour la France seule, mais que je convoque en ces lieux, pensant à Renan, pour nous deux : cette amitié est un « plébiscite de tous les jours ». 

Le geste fait il y a soixante ans était un geste de courage car il n'avait rien d'évident. Tout documentait dans les vies de chacun la nécessité de ne pas faire ou de faire le contraire. Les histoires de ces générations de fondateurs leur disaient le contraire et ils l'ont fait. Notre amitié et ce plébiscite de tous les jours reposent sur une volonté, une coopération, une confiance qui doivent irriguer l'ensemble de nos institutions, de nos sociétés, de nos forces vives. 

Mais jamais ce combat ne peut être, ni ne sera celui des fatigués, des habitués et de ceux qui ne regardent que le passé, jamais. C'est aussi pourquoi, il y quatre ans, à Aix-la-Chapelle, nous avons signé un nouveau traité d'amitié. Actant le succès historique de notre réconciliation permise par le Traité de l'Elysée, nous avons décidé d'approfondir notre intégration et nos convergences dans tous les domaines. Au service de l'Union européenne, de la paix, de nos transitions environnementales et numériques, pour les jeunesses de nos deux pays. Pour nos concitoyens qui vivent et travaillent de part et d'autre de nos frontières Et avec vous, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, grâce à l'Assemblée parlementaire franco-allemande instituée parallèlement au Traité d'Aix-la-Chapelle. 

Je voudrais, au-delà de ces initiatives que vous faites vivre, saluer la première promotion ici présente du programme « Génération Europe » porté par l'Office franco-allemand pour la jeunesse, illustration concrète de cette ambition, au cœur de nos Traités de l'Élysée et d'Aix-la-Chapelle, de compréhension mutuelle entre nos peuples et d'ambitions que vous aurez à aujourd'hui et demain. 

Mesdames et Messieurs et Monsieur le Chancelier vient de le dire parfaitement, cher Olaf, ce 60ᵉ anniversaire a une signification particulière, au moment où l'Ukraine résiste à l'agression de la Russie, où l'idéal de paix et de dialogue a été bafoué, où l'espoir même d'un ordre humaniste en Europe est menacé et où les dérèglements du monde bousculent tant de certitudes dans nos pays.

Face à ces périls, il nous faut plus que jamais porter l'idéal d'une Europe plus unie et pleinement maîtresse de son destin. 

Oui, cette Europe que nous avons défendue l'un l'autre : en septembre 2017 sous cette même coupole et vous-même, Monsieur le Chancelier, en août 2022 à l'Université Charles de Prague, dans cet autre temple des valeurs humanistes de notre Europe. Ce projet de renforcement de la souveraineté européenne a pris la force d'une nécessité et d'une évidence pour tous. À présent, l'Allemagne et la France partagent la responsabilité de le faire advenir dans tous les domaines avec leurs partenaires au sein de l'Union européenne. 

Nous avons su le faire face à la pandémie par une relance économique qui nous a permis une capacité d'investissement inédite à 27 et la mutualisation de dettes communes pour des investissements à venir, impensables quelques mois plus tôt. Nous l'avons décidé ensemble, Allemagne et France, quelques semaines après le début de la pandémie, pour que cela puisse advenir dès juillet 2020. 

Nous le faisons jour après jour pour la défense de l'Ukraine. Après le 24 février, notre Union ne s'est ni divisée, ni dérobée à ses responsabilités. Et notre soutien indéfectible aux côtés du peuple ukrainien se poursuivra dans tous les domaines. Nous avons soutenu l'Ukraine, sanctionné la Russie et, ensemble, sommes allés à Kiev pour ouvrir, là aussi, un chemin que, quelques semaines plus tard, notre Europe a consacré. Et nous continuerons à soutenir le choix clair fait par le Conseil européen de donner à l'Ukraine, comme à la Moldavie, le statut de candidat. Nous continuerons à les accompagner, ainsi que les autres pays candidats des Balkans occidentaux sur le chemin des réformes nécessaires. Cette responsabilité de l'Allemagne et de la France est aussi de renforcer la cohésion de l'ensemble de la famille européenne à travers la Communauté politique européenne. Et je vous remercie, Monsieur le Chancelier, du soutien que vous avez apporté à ce projet fédérateur à l’échelle du continent. 

Nous avons aussi su prendre les décisions qui s’imposaient pour nous-mêmes, pour la réduction de nos dépendances stratégiques, pour une Europe plus forte et souveraine en matière énergétique, technologique, militaire, industrielle, alimentaire. C’est l’agenda que nous avons désigné ensemble, en Européens, à Versailles en mars dernier. Et grâce à ces décisions, d’ores et déjà notre Union n’est plus la même. Et les choix faits ces derniers mois en matière de défense, en matière énergétique par nos deux pays sont des choix historiques qui nous permettront de continuer, d’avancer et d’aller plus loin. 

Mais le travail qui reste à accomplir est immense, pour atteindre notre objectif d’une Europe plus souveraine, plus démocratique et plus solidaire. Et cela ne dépend presque que de nous, Européens, de nos choix, des décisions que nous prenons et de celles que nous ne prenons pas. 

Alors, comme nos deux pays ont su le faire à chaque tournant de la construction européenne et – non que ce fût facile, bien au contraire – l'Allemagne et la France feront le choix de l'avenir. Vous l'avez parfaitement dit, cher Olaf à l’instant. Le couple franco-allemand est un couple pour lequel rien n'était écrit. Et si tout était simple, ce couple n'aurait ni à être célébré ni à constamment se réinventer. Il est grand quand il arrive en quelque sorte à bousculer la fatalité, à revisiter les intérêts d'un côté l'autre du Rhin et à bâtir un chemin plus grand que ceux qui le composent, celui d'une unité, d'une fusion entre nos peuples, nos histoires pour rendre notre Europe plus forte. C'est ce choix d'avenir qui est le nôtre aujourd'hui. 

Et l'Allemagne et la France, parce qu'elles ont défriché le chemin de la réconciliation, doivent devenir pionnières pour la refondation de notre Europe ensemble. 

Pionnières d'abord, pour bâtir ensemble un nouveau modèle énergétique par-delà nos différences. Nous devons encourager et accélérer au niveau européen les investissements publics et privés nécessaires à la transition écologique. Nous devons achever la diversification de nos sources et voies d'approvisionnement et encourager la production d'énergies décarbonées sur notre continent. 

Pionnières ensuite pour l'innovation et les technologies de demain, pour bâtir la prospérité, l'avenir écologique et le modèle social qui nous unit. Cela passe par l'accélération de nos convergences, la simplification de nos règles. Cela passe par une stratégie industrielle européenne ambitieuse qui assure la résilience de la production sur le sol européen par une stratégie « made in Europe » 2030. Comme nous l'avons l'un l'autre poussé pour faire de notre continent le champion de ces nouvelles technologies et de l'intelligence artificielle. 

Pionnières, ensemble pour une Union européenne capable de s'assumer comme puissance géopolitique à part entière en matière de défense, en matière spatiale, en matière diplomatique.

Pionnières, enfin, pour une Union plus efficace, plus protectrice et qui défend ses valeurs. Car au fond, notre objectif de souveraineté est de s'assurer de tenir notre destin entre nos mains. Et nous devons le mettre au profit de nos valeurs communes, de notre modèle européen qui repose sur notre humanisme, notre attachement à la liberté et à la solidarité. Alors, achevons ensemble d'en faire en l'espace d'une génération, un espace de solidarité et de liberté, celle de penser, de créer, de voyager, d'entreprendre, d'innover, de rêver. 

Cette Europe pour laquelle, ensemble, Allemagne et France seront pionnières, est celle des universités, de la musique, de la littérature, de la création, des théâtres, de la culture. Cette Europe, c'est celle qu'ensemble nous voulons refonder. 

Et telle est notre ligne d'horizon en ce jour de célébration où nous réunirons le 23ᵉ conseil des ministres franco-allemand. Chers amis, l'itinéraire de fraternité que nos deux peuples ont su bâtir après s'être tant déchirés nous oblige. Le Traité de l'Elysée et l'aventure européenne étaient des pas inouïs que tout des habitudes et des facilités pouvait empêcher. Et c'est pourquoi, à mes yeux, ce jour ne doit pas simplement être celui d'une célébration, mais d'une promesse, d'un engagement, d'un appel, d'une ambition nouvelle. À l'heure où l'histoire semble sortir à nouveau de ses gonds, trouvons le ressort d'être à la hauteur de l'espoir que tous ceux qui nous ont précédés avaient placé en nous. Affrontons les périls du temps avec cet héritage de courage et d'imagination, avec ce devoir de fidélité à l'audace. Avec l'assurance que tout est possible si l'on demeure uni. 

Eh oui, cher Olaf, en célébrant ensemble aujourd'hui avec vous, Mesdames les Présidentes, Messieurs les Présidents et nos représentants des assemblées comme nos ministres, cet itinéraire fraternel à la Sorbonne, c'est que nous voulons bâtir une ambition nouvelle ici, dans ce lieu de savoir ici, à la Sorbonne, dans cette université qui porte le nom de son fondateur et celui d'un village des Ardennes dont les paysages ont vu les cendres de la guerre entre nos deux nations. Dans ce lieu de culture et de savoir où passèrent des érudits de toute l'Europe, de Thomas D'AQUIN à Albert de COLOGNE et qui inventèrent l'esprit universaliste du continent. Ici, dans ce lieu où l’on a toujours rêvé tout à la fois le patriotisme comme l'aventure européenne comme étant aussi un appel à l'universel. Ici, où par le savoir, l'apprentissage, la compréhension, les arts, on a toujours voulu bâtir l'amour de ce que nous sommes, nos héritages, à travers quelque chose de plus grand que nous. 

Et dans cette faculté qui honorera Ernst-Robert CURTIUS, un Allemand pleinement européen et qui, voilà cent ans, ne voulait pas se résoudre à éteindre son amour pour la littérature française. MANN a écrit des pages sublimes pour qualifier l'amitié entre CURTIUS et GIDE. Il a écrit qu'ils étaient « deux âmes dans une même poitrine ». Voilà une haute image de la complicité morale, de la fraternité de destin, de ce que nous sommes. Deux âmes dans une même poitrine. Elles ne se ressemblent pas et elles n'ont pas la même histoire, mais elles sont dans cette même poitrine et elles battent à l'unisson.  Deux âmes dans une même poitrine, c'est nous. 

Alors sachez toutes et tous ici aujourd'hui, pouvoir compter sur notre détermination ensemble à continuer à faire de l'amitié entre l'Allemagne et la France l'un des arbres de vie de la souveraineté européenne. Sachez que l’un l’autre, nous continuerons de faire avancer ce couple jadis impossible qui est le fruit simplement de la volonté, du courage et de la force et nous le ferons ensemble pour qu’à votre tour, vous, vous puissiez célébrer cette part d’histoire, mais surtout continuer de bâtir la vôtre en ayant tous les choix et la liberté en particulier de choisir votre avenir. C’est notre responsabilité pour vous. 

Vive l’amitié entre l’Allemagne et la France et vive notre Europe ! 

samedi 29 mai 2021

Rions avec Marcel Achard - René Peyre

 

Le rideau tombe. Il est 23H15.Le public enthousiaste applaudit. Le rideau se lève, les artistes saluent les spectateurs. Les applaudissements s’amplifient. Le rideau se baisse, se relève plusieurs fois, les artistes saluent, se retirent, reviennent. Cela dure longtemps. C’est un triomphe.

Michel Simon et ses camarades ont assuré le succès de « Jean de la Lune ».Dans les coulisses, Marcel Achard, heureux, savoure son succès et essuie ses grosses lunettes, ses hublots embués par l’émotion et dans son esprit défilent, comme dans un film, les images de son enfance, de sa jeunesse, de ses parents, de ses débuts à Paris ou ses amis lyonnais montés avant lui l’accueillent et l’encouragent. Il revoit notamment le café du commerce de Sainte Foy les Lyon acheté par son père et dans lequel il est né le 5 juillet 1899. Son père fils d’un paysan de Saint Sorlin en Valloire, petit village de la Drôme, s’appelle bien Achard et non Fereol comme l’écrivaient un journaliste parisien et une journaliste du Dauphiné Libéré le lendemain de la mort de Marcel le 5 septembre 1974.

Ferréol Achard qui n’aimait pas traire les vaches ni cultiver les carottes prit un matin le train pour Lyon et trouva une place de garçon de café. Il épousa Augustine Blanc, la fille de sa sœur, un mariage plutôt surprenant que Marcel Achard évoquait ainsi en souriant : « mon père était mon oncle et ma mère ma cousine germaine ».

Quoiqu’il en soit Féréol Achard et son épouse Augustine Blanc sont nés et enterrés à Saint Sorlin en Valloire. Dans le tombeau familial reposent également Fereol, le père de Marcel décédé en 1971 ainsi que leur sœur Marguerite décédée à Lyon en 1984.

Le père de Marcel Achard parvint à acheter le café du commerce de Sainte Foy les Lyon puis « La Taverne de Genève » à Lyon dans la rue Ferrandière ou curieuse coïncidence, se trouvait la boulangerie de « La gerbe d’or » tenue par la famille Beraud, dont le fils, Henri Béraud, prix Goncourt en 1922 avec « le martyre de l’obèse » fut le mécène du jeune Marcel Achard.

Sainte Foy les Lyon, fière d’être la ville natale de Marcel Achard a inauguré le 20 septembre 1975 une plaque commémorative sur la façade du café du commerce. Marcel Achard aimait sa ville natale : « ce que j’adore dans Sainte Foy, écrivait-il, c’est quelle a su rester si originale, si différente de la grande ville qu’elle avoisine. Lyon est noble Sainte Foy est familière, Lyon est sévère, Sainte Foy est riante. » 

Marcel Achard aimait également revoir le village natal de ses parents, ses cousins et ses cousines, les familles Brunet-Peyre qui géraient un café et une boulangerie, la famille Rostaing qui tenait une mercerie, la famille Achard, Léon secrétaire de mairie pendant quelques années, son frère Louis, menuisier, la famille Bonardel, des agriculteurs.

Ferréol Achard, le père de Marcel, le frère de mon arrière grand–mère, était un bel homme brun, jovial, amateur de saucisson et de bon vin dont les sourcils épais et une moustache comparable à celle de Clemenceau ornaient le visage.

Marcel Achard ressemblait à sa mère, une femme discrète, souriante, spirituelle et aimable.

Le futur auteur dramatique manifeste déjà sa verve et son humour dans cette lettre du 4 novembre 1918 adressée à ses deux cousines de Saint Sorlin en Valloire, Marie-Louise BRUNET, ma future maman, et sa sœur Fernande.

 

 

 

Chères cousines,

Lyon ? Dites-vous Gerland ? C’est impossible ?

Nous avons mal lu ... Vous courrez à la signature. Marcel ? C’est une blague … c’est une mystification ... Marcel nous écrire ? Allons, ça n’est pas sérieux.

Eh bien ! si mesdemoiselles, madame, c’est Marcel qui vous écrit de Gerland. Marcel qui vainqueur jusqu’à présent de la grippe espagnole et des explosions de Vénissieux, écrit à ses chères cousines. Et vous ? Vous en rescapâtes-vous. Vous en sortîtes-vous, sans être trop malades ? En un mot, la « grippe » a-t-elle fait des ravages à Saint Sorlin ? Et en avez vous souffert ?

Non ! Mille fois non ! Il ne faut pas. C’est impossible.

Nous avons tardé à vous écrire, nous diriez-vous ? Non, mesdemoiselles, non madame. Mais croyez-vous qu’il était prudent de dire comme je le fais aujourd'hui   « Venez, chères cousines, venez à Lyon, venez vite»… au moment où les lyonnais « clamsaient, mourraient si vous aimiez mieux comme des mouches, de la grippe, au moment où Lyon menaçait de sauter ? Au moment où les théâtres et les cinémas étaient fermés par mesure préventive ?…Non, ça n’était pas prudent et ça n’aurait pas été drôle. Mais aujourd’hui que le péril semble conjuré, que l’on respire en paix, que les théâtres sont rouverts et que les mortalités sont plus rares je viens dire à mes cousines ce que je leur aurais dit, il y a trois semaines si … (voir plus haut).

Je viens donc leur dire « Hâtez-vous. La vie est courte. Profitez des rares instants de loisir que Dieu vous a donnés en partage. Hosanna ! » en un mot, dégrouillez-vous de faire vos malles et de venir à Lyon.

Je ne sais pas si Mademoiselle Elise, toute charmante et rieuse est encore avec vous, auquel cas je vous prierai de lui faire parvenir par n’importe quel moyen mes salutations empressées. Ne reculez devant aucun sacrifice pour les lui faire parvenir.

Ceci est une parenthèse. Je la ferme … (Quelle chance, hein ?) … la parenthèse.

Tout le monde va bien ? Vous d’abord ? La tante Célie ? L’oncle ? Sylvain ? Savoy ? Grand-père ? Jeannette ? Céline ? Sa famille ? … Léon ? Sa famille ? Notre oncle Blanc, sa famille ? Diane ? Sa famille ? Ah ! non je vais un peu loin.

Enfin, on vous attend un de ces jours, toutes les deux, petites cousines jolies et un conseil de frère « Grouillez-vous la patate ».

Vous ne comprenez peut-être pas ? En français, dépêchez-vous.

Je vous embrasse toutes trois comme je vous aime, c'est-à-dire brutalement.

Le reste de la famille, Papa, Maman, Ferréol, Marguerite vous embrasse bien aussi.

Mais enfin, n’est-ce pas, ça n’a pas autant d’importance.

Marcel ACHARD

 

Depuis son enfance, le futur auteur dramatique souffrait d’une scoliose qui n’altérait point sa gaîté et d’une myopie qu’il dissimulait derrière de grosses lunettes, ses célèbres hublots.

Son frère, prénommé Ferréol comme leur père, auquel il ressemblait, paraissait à l’aise en toute circonstance et son maintien, son élégance, son sourire attiraient le regard des femmes. Par ailleurs, il jouait très bien du violon.

Marguerite, leur sœur, de taille moyenne, vive et gracieuse aurait certainement pu chanter l’opérette si Marcel le lui avait conseillé.

J’ai conservé un très agréable souvenir d’une après-midi passée avec eux dans le salon de la maison familiale, à Saint Sorlin. Marcel au piano, Féreol avec son violon accompagnaient leur sœur qui chantait des mélodies.

A cette époque, Marcel Achard avait franchi le Rubicon, obtenu ses premiers succès dans la capitale, mais il restait un homme simple, heureux de pouvoir partager quelques instants de bonheur avec sa famille.

Dans sa jeunesse, le gone aimait les fêtes foraines, les vogues, les pitreries de clown dans les cirques, l’orgue de barbarie du manège de chevaux de bois qui déroulait ses cartons en jouant de vieilles chansons.

Au lycée, le professeur Thibaudet, dont il me recommanda plus tard la littérature lui fit aimer Rabelais (qui publia Gargantua et Pantagruel à Lyon), Molière bien sur, dont il parodia Tartuffe en écrivant « Tatruffe » destiné au « Guignol » de Lyon.

A 17 ans, le 3 janvier 1916, il adressait à Marie Louise Brunet sa cousine et ma future maman cet acrostiche :

 

L’année qui commence m’offre l’occasion de t’envoyer mes meilleurs souhaits. Je t’adresse pour cela un acrostiche de ma composition :

Maintenant, c’est la guerre horrible et monstrueuse

Autour de leur drapeau les soldats tombent mort

Rougeoyant le soleil flamboie dans ce décor ;

Illuminée la terre semble être encore heureuse

Et pourtant combien de soldats déjà sont morts ?

L’année sinistre a fui. Que celle qui commence

Offre satisfaction à nos vœux de bonheur

Utile à ta maman, Marie Louise au grand cœur

Il faudra que tu songes à nos pioupious de France

Sans pleurer sur le sort de ceux qui vont partir.

Ecoute nos souhaits, espère en l’Avenir.

Mes meilleurs baisers à ta mère et à la petite Fernande de la part de ton cousin Marcel Achard.

 

Quelques mois plus tard, il obtint un poste d’instituteur, comme le souhaitait son père, à Vaux en Velin dans la banlieue lyonnaise, mais se rendit compte très rapidement que l’enseignement n’était pas sa vocation.

Plusieurs lyonnais écrivaient dans des journaux parisiens et gravitaient autour d’Henri Béraud, le « patriarche ».

Pourquoi ne pas les rejoindre ?

Le 13 décembre 1918, Marcel Achard âgé de 19 ans montait dans un wagon de troisième classe et descendait à la Gare de Lyon à Paris.

L’aventure commençait.

Comme il fallait se nourrir et se loger il exerça divers métiers : représentant en papier carbone, secrétaire, figurant dans certains vaudevilles …

Devenu souffleur au théâtre du Vieux Colombier certains soirs il soufflait à l’artiste son propre texte plutôt que celui de l’auteur. Le directeur excédé le renvoya le jour, ou sans doute distrait par les jambes d’une artiste, il oublia de souffler la réplique.

Quelques jours plus tard son ami Michel Piot plus connu sous le nom de Pierre Scize, ancien combattant amputé d’un bras, le présenta à Henri Béraud. Celui-ci intervint auprès de Tery directeur du journal « L’œuvre » qui confia à Marcel Achard la rubrique des halles et des marchés. Henri Béraud raconte avec humour dans son livre « Les derniers beaux jours » les débuts de Marcel Achard dans le journalisme : « Il fit, chose à prévoir, des débuts remarqués. Pour la première fois depuis la création des Halles, la langouste se vit coter au dessous du merlan et les truffes au dessous du potiron. Etienne Marcel en faillit tomber de son piédestal, et les mandataires se demandent encore s’ils n’ont pas rêvé. »

Le Directeur de « L’œuvre » décida de confier Marcel Achard et son ami Pierre Scize « ces deux incomparables visionnaires » au Directeur du journal « bonsoir » dont la belle humeur toutefois, comme sa bonté, s’arrêtaient aux cordons de sa bourse. Nos deux compères et leurs amis Henri Béraud et Henri Jeanson animèrent avec beaucoup d’humour ce journal... « Nous étions si jeunes et l’on s’amusait tant ! » écrira Henri Béraud. Parmi les anecdotes qu’il cite dans « Les derniers beaux jours » je retiendrai celle de l’os dans l’affaire Landru. Les enquêteurs firent draguer un étang en espérant trouver des membres (des restes ?) des victimes. Soudain un agent brandit un os qui pouvait être un tibia. En réalité il s’agissait d’un os de bœuf lancé la veille par Marcel Achard !

Dans une autre affaire Marcel prétendit être premier basson à l’Opéra. En effet on s’amusait beaucoup mais on gagnait peu d’argent.

Henri Béraud, devenu grand reporter pour « Le petit parisien » et lauréat du Goncourt avec « Le martyre de l’obèse » en 1922, confia son secrétariat à Marcel Achard pour lui apprendre, disait –il, les rudiments du journalisme.

La chance, elle aussi, aida Marcel le jour ou Téry le directeur du journal « L’œuvre » n’ayant pas d’autre rédacteur sous la main lui demanda d’aller à Versailles et de rendre compte de la conférence sur la paix. Sur le trajet deux personnes font signe de s’arrêter au taxi dans lequel se trouve Marcel Achard. Deux journalistes, un américain et André Viollis du « Petit parisien » demandent à Marcel Achard de les conduire non pas à Versailles mais à Vaucresson où ils doivent rencontrer un diplomate allemand De Brockdorff-Rantzeau.Marcel Achard accepte. Les confidences des deux journalistes lui permirent de rédiger un excellent article apprécié par le directeur du journal qui lui confia la rubrique des spectacles et augmenta son salaire. Dans ses nouvelles fonctions il rencontre Charles Dullin, directeur du théâtre de l’Atelier, qui lui conseille d’écrire une pièce de théâtre.

Ce sera fait en 1923.C’est Charles Dullin qui mettra en scène dans son théâtre la première pièce de Marcel Achard « Voulez vous jouer avec moa ? » Dans cette pièce burlesque et drôle inspirée par des souvenirs d’enfance, Marcel Achard tient le rôle du clown Crokson car aucun autre acteur n’avait accepté de recevoir une trentaine de coups de pieds dans les fesses chaque soir. Ce fut le déclic, le début d’une brillante carrière.

Pendant une quarantaine d’années Marcel Achard va distraire, faire rire et émouvoir le public parisien et le public de Province et certaines de ses pièces seront également jouées à l’étranger, notamment aux USA.

Il a marqué son époque par plusieurs pièces empreintes d’humour, de poésie, de gentillesse. S’inspirait-il de Molière, d’Edmond Rostand, de Marivaux, de Feydeau ? Dans son livre « rions avec eux », il écrivait « Georges Feydeau est, après Molière, le plus grand auteur comique français ». Mais, à un journaliste qui lui demandait en 1942 quelle personne il aurait voulu connaître, il répondit : « Il y a vingt ans, je vous aurais dit Musset. Il y a quinze ans, je vous aurais dit Molière.Il y a dix ans je vous aurais dit Racine.Il y a cinq ans je vous aurais dit Stendhal… Mais, depuis, les évènements m’ont appris que les hommes étaient encore plus importants que leurs œuvres, aussi je vous répondrais aujourd’hui, comme je l’aurais fait il y a vingt cinq ans : l’homme que j’aurais voulu rencontrer c’est Alexandre Dumas père et j’aurais essayé à tout prix de m’en faire un ami parce que c’était un grand cœur, une grande générosité et une grande indulgence »

En tout cas, entre les deux guerres, pendant cette période marquée par des scandales, par l’instabilité ministérielle, par les affrontements du 6 Février 1934, par l’insouciance des français, Marcel Achard va faire jouer une vingtaine de comédies.

En 1925, il épouse Juliette Marty qui veillera sur lui jusqu’à sa mort.

Le 16 avril 1929 Michel Simon assure le succès de « Jean de la Lune » au théâtre des Champs Elysées. Deux autres pièces « Domino » en 1932 et « Noix de coco » en 1936 confirment le talent et le succès de Marcel Achard.

Marcel et Juliette vivent dans un appartement situé au troisième étage d’un immeuble situé 8 rue de Courty, près de la chambre des députés. Grâce au succès de « Domino » le couple acquiert une maison à la Chaussée Saint Victor près de Blois et la fait réparer  en 1947 grâce au succès de la comédie « Auprès de ma blonde ». Ils sortent beaucoup le soir, assistent à des générales, à des réceptions, à des concerts, à des dîners. Marcel Achard a de nombreux amis, parmi lesquels Marcel Pagnol, Henri Béraud, Henri Jeanson,  Joseph Kessel, Pierre Scize, Pierre Lazareff. Il ne refuse pas d’assister avec eux, avec Carco et Marc Orlan au dîner du Crapouillot organisé par Galtier Boissière dans le restaurant « Le Grand Vefour » puis dans le restaurant Dagorno à La Villette.

Les convives mangent de la bonne viande, boivent beaucoup. Au cours et à la fin du repas, ils plaisantent, s’amusent, chantent et tout nouvel invité doit improviser un récit ou chanter de vieux refrains. Un jour Juliette Achard reprochera à Jean Galtier Boissière d’organiser ce banquet ou « les femmes n’étaient pas admises et dont son époux revenait à quatre heures du matin ivre et puant la pomme de terre frite.»

Marcel Achard fut également invité à des soirées dans le « caveau caucasien » ou Joseph Kessel emporté par la musique tzigane buvait des carafons de vodka et des verres de champagne et, parfois, au petit matin, brisait des verres et mâchait des éclats de cristallin.

Au cours de l’une de ces soirées, Marcel Achard eut le plaisir de connaître Saint Exupéry qu’il hébergea ensuite quelques jours dans sa maison de campagne avant que l’auteur du « Petit Prince » ne rejoigne les USA.

Comme tout vrai lyonnais, Marcel Achard aimait la bonne cuisine et appréciait notamment celle du père Bise à Talloire.

Un jour, invité par un ami et le maire d’Evian au restaurant La Verniaz, situé sur le flanc de la colline qui domine le Lac Léman, j’aperçu Marcel Achard et son épouse qui dégustaient un excellent repas. Je les saluais et Marcel Achard me dit en souriant : « Je fais une cure à Evian !». Mais le bon vivant s’isolait à Paris et dans sa maison de campagne lorsque l’inspiration s’imposait. Alors, pendant plusieurs jours, pendant des heures, souvent la nuit, comme Balzac, il suivait ses personnages, leur soufflait les dialogues les plus drôles, les poussaient dans des situations cocasses, qui, selon Voltaire, font le succès du théâtre.

Parmi ses plus grands succès figurent « Jean de la Lune » traduit en 19 langues, « Domino » et « Patate » joués pendant six ans. Paul Cordeau écrivait dans « France Soir » le lendemain de la première représentation de « Patate » : « Hier soir au théâtre Saint Georges nous étions cinq cents spectateurs qui à chaque scène de « Patate » avions envie de nous écrier « bravo Achard, voilà de l’excellente comédie ». Il ajoutait : « Marcel Achard dut venir sur le plateau recevoir la plus enthousiaste acclamation qui ait retenti depuis longtemps dans un théâtre parisien. L’auteur nous avait rendu le meilleur Marcel Achard, le Marcel Achard des grandes années, plus jeune, plus pétillant de verve et d’humour, plus narquois et plus spirituel que jamais. »

Quel triomphe !

Quel succès pour les artistes, Pierre Dux, Simone Renant, Maurice Teynac et la jeune Sophie Daumier !

Deux ans plus tard, le jeudi 3 décembre 1959, Marcel Achard était reçu à l’Académie Française par son ami Marcel Pagnol avec beaucoup d’humour. Que l’on en juge :

« Je commencerai donc par vous dire que le plaisir que j’ai à vous accueillir sous cette coupole n’a d’égal que mon étonnement de vous y voir. Non point que votre talent n’ait mérité ce siège, qu’il est convenu d’appeler fauteuil, mais à cause de certain épisode de votre vie passée, que je me vois forcé de rappeler aujourd’hui ».

Tout le monde sait que Molière n’appartint pas à l’Académie, et l’on croit généralement (à cause des deux vers de Boileau) que notre Compagnie ne lui pardonna pas de s’être enfermé dans un sac pour y recevoir, en public, des coups de bâton. Or, Boileau, prince des critiques, parlait avec une grande légèreté d’une pièce qu’il n’avait certainement pas vue, car Molière, dans les Fourberies, n’a jamais joué le rôle de Géronte ; il jouait Scapin, et ces coups de bâton, c’était lui qui les donnait : exercice, en somme, honorable, et dans lequel excellèrent les grands seigneurs. Ce que l’Académie ne pardonna pas à Molière, ce fut tout simplement d’avoir fait le métier de comédien.

Eh bien, Monsieur, je regrette d’avoir à rappeler ici que vous êtes monté vous-même sur les tréteaux. Non pas dans un salon, ou à la Cour, comme le fit notre Louis XIV, par simple divertissement, mais sur un théâtre public. Et quels rôles avez-vous interprétés ? Cinna ? Hernani ? Chatterton ? Point. Vous avez joué, Monsieur, le rôle d’un pitre de cirque, dans une pièce que vous aviez délibérément composée vous-même. J’en parle savamment, car je vous ai vu, la face enfarinée, le menton pointé, les pieds en dedans, imiter de votre mieux l’accent anglais du cirque ; je vous ai vu, dis-je, soulever de grands éclats de rire et des applaudissements prolongés en recevant, Monsieur, des coups de pied !...

Combien de coups de pied ? 4.440. C’est vous qui l’avez avoué à l’envoyé d’une gazette qui ne se fit point faute de l’imprimer. Et des coups de pied où ? Au théâtre de l’Atelier, devant une foule chaque soir renouvelée.

Votre cas était donc beaucoup plus grave que celui de Molière : vous voilà pourtant parmi nous, et je vais vous dire pourquoi.

Tout d’abord, l’Académie a bien voulu déduire de votre passif le fait que cette carrière d’histrion fut courte, malgré votre scandaleux succès personnel. D’autre part, deux mois avant qu’il n’eût été parlé de votre candidature, un éminent critique de notre génération écrivit une petite phrase d’une grande importance :

« À la première de Voulez-vous jouer avec moâ, en 1923, on vit un auteur débutant, Marcel Achard, tenir lui-même le principal rôle de sa pièce parce qu’on n’avait pas pu trouver un interprète à meilleur marché ».

Et, Marcel Pagnol, toujours avec humour rappelle les origines de Marcel Achard ses relations avec Pierre Scize, Henri Beraud, Jeanson et lui-même, ses succès au théâtre et cite notamment « Jean de la lune », « l’une de vos oeuvres majeures, son succès fut éclatant » et cette réflexion de Gaston Pawlowski : « le rare mérite de M Marcel Achard est de nous avoir restitué cette verve et ce dialogue comique véritable qui apparente l’auteur aux plus grands classiques d’autrefois ». Marcel Pagnol cite également cette réflexion de Pierre Brisson : « L’esprit de Marcel Achard ne peut inspirer qu’une vive amitié. Il apporte au théâtre un style libre et léger, qui porte la marque la plus personnelle et la plus séduisante ».Parlant ensuite de « Patate », Marcel Pagnol observe : « je crois que c’est votre chef d’œuvre et peut être un chef d’oeuvre tout court. ».Puis il ajoute : « c’est la poésie qui est le charme de votre œuvre et le secret de sa réussite. » Il termine ainsi son éloge : « Je ne prétends pas que vous eussiez pu écrire Hamlet ou le Roi Lear ; non vous n’êtes pas un autre Shakespeare. Je dis que vous avez parfois retrouvé le ton de ses œuvres légères telles que le Songe, La mégère apprivoisée ou le Conte d’hiver. Ce n’est pas un petit éloge. »

Marcel Achard apprécia beaucoup cet éloge et l’humour de son grand ami. Après son admission dans le Cénacle des Immortels. Marcel Achard écrivit d’autres pièces de théâtre en particulier « L’idiote » en 1961 crée par Annie Girardot.

En 1957, il publie un livre intitulé « Rions avec eux », et dans un texte très court qu’il ne considérait pas comme une préface, l’auteur précise : « ce petit livre est un recueil d’enthousiasmes. Ce voudrait être un bréviaire à l’usage des amateurs de rire. »

A tout seigneur tout honneur, Marcel Achard évoque tout d’abord Victor Hugo et la première d’Hernani. « La première d’Hernani, est un événement écrit il, c’est plus qu’un évènement, c’est de l’histoire, c’est une date : 25 Février 1830.La date préférée de tous les auteurs dramatiques.» Ce soir là en effet, Victor Hugo, Théophile Gautier en gilet rouge, soulevèrent les vives protestations « des anciens »  auxquels ils imposaient un nouveau style proche de la réalité ; le drame devra désormais se dérouler sur la scène, face aux spectateurs et non plus dans les coulisses comme dans le Cid. L’évocation de la représentation d’Hernani permit évidemment à Marcel Achard de plaisanter. Ainsi il écrivait : «  La froideur commença par Mademoiselle Mars. Comme son nom pouvait le faire prévoir, elle avait ce qu’on appelle un caractère à giboulées »

Et Marcel Achard termina le premier chapitre de son livre sur un dialogue entre deux acteurs dont l’un prononce le texte originel « vieillard stupide, il l’aime » et l’autre, un peu sourd entend « vieil as de pique, il l’aime ».Marcel Achard conclut : « Pour être révolutionnaire en art, il faut tout de même causer une espèce de révolution. C’est la grâce que je nous souhaite, à mes jeunes confrères et à moi. »

Dans le chapitre suivant Marcel Achard parle de l’opérette « La belle Hélène » tout d’abord mal accueillie par les critiques ? qui obtint ensuite un tel succès que toutes les loges étaient louées quinze jours à l’avance grâce à la musique d’Offenbach surnommé « le Mozart des Champs Elysées » par Rossini.

Ensuite Marcel Achard rend un hommage mérité à Georges Feydeau qui est, « après Molière, le plus grand auteur comique français ». On ne peut en douter quand on a vu Jacques Charron et Micheline Boudet jouer « Ne te promènes donc pas toute nue », « Feue la mère de Madame », « La dame de chez Maxim’s » et « Le fil à la patte » avec leur fabuleux complice Robert Hirsh.

Marcel Achard parle ensuite d’Alphonse Allais qui commençait ainsi une conférence : « Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs on m’a demandé de faire une conférence sur le théâtre. J’ai peur qu’elle ne vous attriste, donc comme vous le savez, malheureusement Shakespeare est mort, Corneille est mort, Racine est mort, Molière est mort, Beaumarchais est mort, Marivaux est mort … et je ne me sens pas très bien moi-même. » Marcel Achard parle également de Tristan Bernard  dont il cite cette réplique :

«   - Vous allez être heureux maintenant ?

- Oui le bonheur… qu’est ce que le bonheur… enfin je m’y ferai. »

Marcel Achard ne pouvait oublier Sacha Guitry qu’il qualifie de roi du théâtre, auteur de 124 comédies. Il cite en particulier cette phrase du mari d’Yvonne Printemps faisant référence à son père le grand artiste Lucien Guitry: « Mon nom était fait, je me suis fait un prénom. » Marcel Achard cite plusieurs réflexions de Sacha Guitry dont celle-ci : « Il faut adorer les femmes, pour avoir le droit d’en dire du mal. » On pourrait ajouter ce dialogue :

>« - D’où êtes-vous ?

- Je suis d’Inde.

- Surtout ne le dites pas ! »

Le dernier chapitre du livre s’intitule « Marcel Pagnol, mon ami. »

L’auteur de « Patate » écrit : « Marcel Pagnol est le poète de Marseille. Pour parler de celui qui est mon ami depuis trente ans, de celui à qui j’ai dédié « Nous irons à Valparaiso. » je suis toujours en train de prendre l’accent »

Il évoque leur première rencontre dans l’atelier de Charles Dullin. A cet époque, dit il, il avait la maigreur d’une arête de rascasse. Je pourrais ajouter avec Fernandel : « Marcel Achard aussi » L’auteur de « Jean de la lune » encore plus mal logé que son ami Pagnol occupait à cette époque une loge du théâtre de l’Atelier, au-dessus de l’écurie du cheval, qui représentait, selon Pagnol, le luxe insultant de Charles Dullin.

Les deux Marcel se rencontraient fréquemment avec Steve Passeur, Jeanson, parlaient de leurs projets, se consultaient sur la valeur de leurs textes… Puis avec le succès vint le confort. Marcel Achard se plait à rappeler certaines formules de Marcel Pagnol : « Il ne passe jamais au soleil, ça le fatigue de traîner son ombre. »  ou « le chagrin, c’est comme le ver solitaire, le tout c’est de le faire sortir. » Et Marcel Achard avoue : « Nous étions une cabale fraternelle et nous mettions le parti pris et l’injustice au service de l’amitié. »

Il termine ainsi « Aujourd’hui si Marcel Pagnol est illustre, s’il est de l’Académie ce n’est pas seulement parce qu’il nous a apporté son cœur de sa province, mais le cœur de sa province tout entier. »

En 1967, ses confrères de l’Académie demandèrent à Marcel Achard de faire l’éloge de la vertu au cours de la séance publique annuelle. Il commença ainsi sa délicate allocution : « La vertu, si elle est démodée, est tout de même d’actualité. On en parle toujours. Pour en rire, mais on en parle. Maintenant elle fait rire parce qu’elle est synonyme de niaiserie. Les Français sont ils doués pour la vertu ? On peut se poser sérieusement la question. Personnellement je répondrai par la négative. La beauté leur a toujours inspiré moins de respect que le  désir. » Marcel Achard cite Feydeau : « Les honnêtes femmes respirent la vertu, mais elles sont tout de suite essoufflées … » et Ninon de Lenclos « l’amour ne meurt jamais de faim, mais souvent d’indigestion. »

Tout en fustigeant les mœurs de notre temps, l’érotisme, l’inceste et la sodomie,  Marcel Achard souriant derrière ses hublots, manifestait avec humour son optimisme.

Deux ans auparavant, le 11 octobre 1965, Marcel Achard fut admis à Lyon dans l’ordre du clou, confrérie des humoristes lyonnais rassemblés autour de cette devise : « L’humour doit ressembler à la mousse de champagne, pétillante et éphémère. »

Le doux, le spirituel Marcel Achard eut tout de même le courage de sauver un soir d’août 44, un jeune résistant qui frappait à sa porte rue de Courty, poursuivi par les soldats allemands. Pendant l’occupation, en 1943, il fit jouer au théâtre des Célestins à Lyon : « Savez vous planter les choux » qui n’obtint pas un grand succès.

Marcel Achard répondit au discours de réception de Thierry Maulnier, le 20 janvier 1966, prononça un discours à l’occasion de la mort du pasteur Marc Boegner le 7 janvier 1971, un discours à l’occasion de la mort du Cardinal Tisserant en Février 1972, et répondit au discours de réception de Jean-Jacques Gautier le 17 Mai 1973.

Marcel Achard contribua encore à la réalisation de comédies musicales « La polka des lampions », mise en musique par Gilbert Bécaud, jouée au théâtre du Châtelet à Paris, « La p’tite Lilly » jouée par Edith Piaf au théâtre de l’ABC…

Carrière dramatique prolongée à l’écran avec une adaptation de « Jean de la lune » aux USA, gros succès qui en entraîna d’autres très rentables avec des dialoguistes et scénaristes américains ou français.

Enfin il fut le dialoguiste de films célèbres au premier rang desquels figurent : « Madame de » de Max Ophuls et « Mayerling » de Litvak. Marcel ACHARD rencontra également Charlie CHAPLIN et se disait émerveillé par : « La ruée vers l’or », « Les lumières de la ville » et « Le kid ».

Malheureusement l’année 1974 fut funeste aux deux grands amis Marcel Achard et Marcel Pagnol.

Le 18 avril 1974 Marcel Pagnol décédait. Quelques mois plus tard, le 4 septembre 1974, Marcel Achard très éprouvé par le décès de son ami succombait dans son appartement de la rue de Courty.

Plusieurs journaux à Paris, à Lyon, à Valence rendirent hommage à l’auteur de « Jean de la lune » et de « Patate ». Dans le Figaro du 5 septembre 1974 deux académiciens exprimèrent leur peine : Jean d’Ormesson et Jean-Jacques Gautier

D’Ormesson écrivait : « Marcel Achard ne prenait rien au sérieux, sauf le cœur. La vie lui avait tout donné, les succès, les triomphes, une célébrité universelle. Au fond de ce pétillement qui ne s’arrêtait jamais, il y avait de la mélancolie et parfois de la tristesse. Marcel Achard avait un cœur presque aussi gros que ses lunettes. Comme ces clowns qu’il aimait, il était peut-être triste, mais il nous faisait rire. Il nous laisse aujourd’hui l’image qui survivra, d’un maître merveilleux du rire. Et c’est nous qui pleurons. »

Jean Jacques Gautier, très ému, lui aussi, regrette la disparition de Marcel Achard : « On disait toujours qu’il était « gentil »! Chez lui, c’était une vraie qualité humaine. Il l‘ était en profondeur. Il adorait le théâtre. Il le vivait. Il aimait même le talent de ses cadets. Il a ouvert les bras à Roussin, à Ionesco, à Françoise Dorin, … Achard avait du cœur, de l’esprit, du talent. Il a été toute sa vie un poète. » Jean-Jacques Gautier cite cette anecdote, Achard passant sur le pont des arts, voit un aveugle et sa sébille vide. Il n’a pas d’argent mais remplace sur l’ardoise ce qui était écrit par cette phrase : « Le printemps est là depuis ce matin, et je ne le verrai pas. » Et la sébile se remplit.

D’autres auteurs, d’autres journalistes, des acteurs ont rendu hommage à Marcel Achard. Je rappellerai seulement ce témoignage de Pierre Dux, administrateur du théâtre de la Comédie Française, l’un des plus grands acteurs de son époque : « Il était un auteur dramatique d’un immense talent dont l’œuvre très personnelle, était aussi celle d’un poète. Cette oeuvre a été trop peu représentée à la Comédie Française ».

Les plus grands acteurs jouèrent ses pièces de théâtre : Pierre Dux, Michel Simon, Louis Jouvet, Raimu, Paul Meurisse, Gaby Morlais, Madeleine Renaud, Annie Girardot, Pierre Fresnay, Yvonne printemps, Pauline Carton …

Ses obsèques eurent lieu dans l’intimité le samedi 7 septembre à la Chaussée Saint-Victor, dans le Loir et Cher ou se trouvait sa maison de campagne. Sa sœur vint le voir sur son lit de mort à Paris. Quelques jours après l’inhumation de Marcel Achard, je présentai mes condoléances à Madame Juliette Achard accompagnée de mon épouse et de mes deux enfants.

Juliette Achard est morte en 1978. elle s’est occupée pendant quatorze ans de l’orphelinat des arts et a tout légué à cette ouvre de bienfaisance, un grand appartement, les droits d’auteur de son mari, les meubles livres et bijoux, l’argenterie, les tableaux. La vente s’est effectuée dans les locaux de l’Hôtel Drouot à Paris.

D’après un article paru dans le Figaro le 23 juin 1980, sous le titre « Achard : le temps des musées », la comédienne Colette Brosset a remis au nom de l’orphelinat des arts dont elle était présidente les archives de Marcel Achard au conservateur de la Bibliothèque Nationale. en présence de Mme Alice Saunier Seité. L’habit, l’épée, et les célèbres lunettes rondes devaient être confiées au musée Carnavalet.

Ainsi s’écoule la vie. Quand arrive le jour fatidique nous abandonnons tout ce que nous avons aimé, n’emportant que nos souvenirs. Pour l’instant je conserve le livre que m’avait offert marcel Achard, « rions avec eux », sur la première page duquel il s’est représenté d’un coup de plume en tenue d’académiciens en ajoutant cette gentille dédicace : « Pour René Peyre, mon cousin selon mon cœur, avec beaucoup de tendresse et un grand coup de bicorne amical. Marcel »

Je conserve également le livret de « Malbrought s’en va t’en guerre » sur lequel figure cette dédicace de 1946 : « A René Peyre en souvenir de sa maman et de notre jeunesse à Saint Sorlin avec la tendre affection de son vieux cousin. Marcel Achard »

En 1943, Marcel Achard m’a invité à la représentation de « Savez vous planter les choux » au théâtre des Célestins à Lyon. Il était entouré de son frère, de sa belle-sœur, de sa sœur mais Juliette était absente. Au cours du repas, qui suivit la représentation, j’eus le plaisir d’apprécier la fantaisie et l’esprit de Pauline Carton.

En 1950, à l’occasion de mon mariage, Marcel Achard m’offrit deux places d’orchestre au théâtre de la Comédie Française à Paris ou l’on jouait ce soir là « Cyrano de Bergerac », le célèbre drame en vers dans lequel Edmond Rostand exprime sa verve et son talent. J’ai compris plus tard que si nous étions au troisième rang d’orchestre, un peu trop près de la scène, c’était parce que Marcel Achard étant myope, ces places lui étaient réservées lorsqu’il assistait à un spectacle avec son épouse.

J’ai déjeuné chez lui, rue de Courty avec mes parents et avec Marcel Achard  et Maman dans un restaurant des Champs Elysées. J’ai eu le plaisir de rencontrer chez lui, Pierre Dux.

Marcel Achard vint un jour à Saint Sorlin en compagnie de Marcel Pagnol ; ils rencontrèrent mes parents et Marcel Pagnol apprécia, paraît-il le caractère de mon père, son bon sens, sa mémoire et sa gentillesse.

Marcel Achard était non seulement drôle et toujours souriant mais également un homme très sensible qui conservait un souvenir affectueux des personnes qu’il avait connu dans sa jeunesse, en particulier de Maman.

Auteur dramatique célèbre dans le monde entier, commandeur de la légion d’honneur, commandeur des arts et lettres, Marcel Achard est resté toute sa vie un homme simple et souriant. Malheureusement les relations entre son épouse et les membres de sa famille se sont apparemment détériorées. Juliette ne l’accompagnait pas quand il venait à Lyon ou dans la Valloire et c’est sans doute pourquoi Marcel Achard n’est pas enterré dans le caveau familial à Saint Sorlin en Valloire auprès de ses parents, de son frère et de sa sœur.

Je suis heureux et fier d’être le cousin de Marcel Achard, non pas parce qu’il était un auteur dramatique célèbre mais parce qu’il a réalisé son rêve d’enfant et conservé malgré le succès, le comportement d’un homme simple, souriant et affectueux. Je l’admirais parce qu’il avait du talent, parce qu’il cultivait l’amitié véritable et savait faire rimer tendresse avec gentillesse, amour avec humour.

 

René PEYRE