Les lignes qui
suivent sont extraites d’un article de René Peyre publié en Septembre 2002 dans
le journal des anciens combattants PTT « Notre voix ». Intitulé « Destin »
il relatait la publication d’un livre d’entretien de Laure Adler avec Pierre de
Benouville sur son parcours et ses années de résistance. René Peyre en fait une
lecture critique et aborde le chapitre dramatique de l’arrestation de Jean
Moulin le 21 Juin 1943 par les troupes de Barbie.
… A Lyon, capitale de la résistance, l'étau se
resserrait autour des dirigeants de l'armée secrète (AS).
La Gestapo et la
milice procédaient à de nombreuses arrestations e| recherchaient MAX (Jean
MOULIN).
Le Général
DELESTRAINT promu chef d'Etat major de l'AS voulu rencontrer à Paris René HARDY
responsable du sabotage ferroviaire.
Henri
AUBRY chef d'Etat major adjoint écrivit en clair à HARDY (DIDOT) e fit déposer
la correspondance dans une boîte aux lettres qu'il savait surveillée par les
allemands.
Son imprudence, ou sa trahison, provoqua une cascade d'événements
graves : l'arrestation de HARDY en gare de Chalon-sur-Saône, celle du Général
DELESTRAINT à Paris et celle des résistants réunis à Caluire.
Apprenant l'arrestation du Général DELESTRAINT, Jean MOULIN décida de
convoquer rapidement une réunion pour désigner son remplaçant. La réunion eut
lieu le 21 juin 1944 à Caluire dans la villa du Dr DUGOUJON.
Cette villa ne comportait aucune issue de secours. D'autre part, les
organisateurs n'estimèrent pas nécessaire d'assurer la protection de la
réunion. C'est tout de même surprenant !
Réunion prévue à 14H30.
AUBRY, HARDY et LASSAGNE arrivent à 14H20. Jean MOULIN, Raymond AUBRAC
et CHWARTZFELD n'arrivent qu'à 15 heures.
Cinq minutes plus tard, BARBIE et ses hommes pénètrent dans la villa et
arrêtent tous les résistants, sauf René HARDY, qui parvient à s'enfuir d'une
manière rocambolesque, il est vrai !
BARBIE a réussi son coup de filet. L'AS est
décapitée. Il sait que parmi les prisonniers se trouve Jean MOULIN (MAX), le
représentant du Général DE GAULLE en France. La résistance accuse le coup et
prend immédiatement les dispositions nécessaires pour limiter les conséquences
de l'opération de Caluire. Tous les prisonniers, sauf HARDY, sont transférés
dans les locaux de l'école de santé militaire de Lyon, avenue Berthelot, siège
de la Gestapo. Dans les caves, sous la torture, les interrogatoires commencent.
Ladislas DE HOYOS, dans son livre « BARBIE »
se réfère au souvenir de Raymond AUBRAC : « J'ai vu AUBRY dans la cour de
Montluc, torse nu, il était noir de coups. Il m'a dit : J'ai été battu, j'ai
parlé ! ».
Pierre PEAN dans « Vies et morts de Jean
MOULIN » écrit : « Depuis le 27 Juin, MISSELWITZ a pris en charge Henri AUBRY.
Au bout d'une semaine, grâce à AUBRY, il connaît tout ou presque tout de ce qui s'est passé à Caluire, tout
de l’armée secrète, tout des MUR (Mouvements Unis de Résistance), tout de « Combat
». AUBRY crache tout ce qu'il sait sur la résistance ». Jacques BAUMEL son
livre « Résister »: «Quand les nazis ont arrêté nos camarades, ils ne savaient
pas lequel était MOULIN. Ils se sont
affreusement acharnés sur LASSAGNE qu'ils avaient d'abord pris pour le délégué
du Général DE GAULLE. Puis est venu le tour
d'Henri AUBRY qui, lui aussi, aura été épouvantablement martyrisé. Il semble
établi aujourd'hui que c'est lui qui a désigné MOULIN à ses bourreaux ».
AUBRY fut libéré en Novembre 43.
Ladislas DE HOYOS dans son livre
« BARBIE » cite ce témoignage de Christian PINEAU chargé par les
allemands de raser MOULIN dans la cour de la prison du fort Montluc à Lyon :
« MAX a perdu connaissance, ses yeux sont creusés comme
si on les avait enfoncés dans sa tête, je me penche sur MAX, celui-ci prononce
cinq ou six mots en anglais que je ne comprends pas ».
Christian PINEAU
m'a décrit cette scène et je me suis posé la question pourquoi Jean MOULIN
s'exprimait-il en anglais plutôt qu'en français, ne voulait-il pas faire passer
un message, donner une piste ?
Quoi qu'il en soit,
après les interrogatoires de BARBIE à Lyon, les prisonniers vont subir les
interrogatoires des agents d'Oberg et de Knochen dans les servie la Gestapo
avenue Foch à Paris, sauf HARDY en cavale et AUBRAC maintenu dans la prison
Montluc à Lyon d'où il s'évadera au cours d'une opération montée par Lucie
AUBRAC et quatorze hommes des groupes francs.
Un autre résistant
arrêté à Caluire, Bruno LARAT, durement interrogé à Lyon est déporté dans le
camps de Dora où il meurt d'une pneumonie en avril 44. Transféré à Paris en
voiture en raison de son état de santé, Jean MOULIN meurt le 8 juillet 43 dans
le train qui le conduit en Allemagne.
Evidemment, au
lendemain du drame de Caluire, les chefs de la résistai recherchent le traître
qui a livré leurs camarades à la gestapo. Pierre PEAN écrit dans son livre «
Vies et morts de Jean MOULIN » : « Dans le camp des amis collaborateurs de Jean
MOULIN et autour de Lucie AUBRAC on est persuadé que le traître de Caluire
n'est autre que René HARDY ». Lucie AUBRAC est même chargée de l'empoisonner en
lui faisant parvenir un petit pot de confiture agrémenté de cyanure.
Ecoutons Jacques
BAYNAC auteur du livre « Les secrets de l'affaire Jean MOULIN » : « Le 21 c'est
sur les pas de Jean MOULIN, dans les cinq minutes suivent son entrée chez le
docteur DUGOUJON que BARBIE et ses hommes font irruption. S'ils y étaient
arrivés en filant HARDY ils auraient surgi quarante minutes plus tôt et MOULIN
alerté par le remue-ménage, les voitures, les gardes armés, les badauds
attroupés, aurait passé son chemin ». Cela paraît évident.
René HARDY a
comparu deux fois devant un tribunal. Deux fois il a été acquitté. J'ai assisté aux
deux procès. René HARDY était défendu par Maître Maurice GARÇON un des ténors
du barreau de l'époque. Au cours du deuxième procès Maître Maurice GARÇON a
vivement interpellé un témoin, Mme DELETRAZ.
Mme DELETRAZ a prétendu que BARBIE lui avait demandé de suivre HARDY et
qu'elle avait tenté de prévenir la résistance. Pierre PEAN parlant de cet agent
double écrit : « Elle avait déjà prouvé son dévouement à Klaus BARBIE et à son
amant MOOG, agent de la Gestapo, en permettant l'arrestation à Mâcon de Bertie
ALBRECHT, l'adjointe et l'amie d'Henri FRENAY le chef du mouvement « Combat ».
Quelques jours auparavant, Bertie ALBRECHT et Henri FRENAY séjournaient à Cluny
chez M. et Mme GOUZE futurs beaux-parents de Francois MITTERRAND.
Jacques BAUMEL, Secrétaire Général des MUR nourrit la plus grande
admiration pour Bertie ALBRECHT arrêtée le 28 mai 1943 à Mâcon, inhumée au
cimetière de Fresnes le 7 juin 1943.
Bertie ALBRECHT écrit-il « l'une des plus pures héroïnes de la
résistance » croix de la libération à titre posthume « a probablement eu le
tort de mourir. La postérité aime assez les grands témoins encore vivants, dont
on fait des idoles qui vont dans les écoles et sur les plateaux de télévision
».
Revenons au drame de Caluire.
HARDY est-il un traître ou plutôt un bouc émissaire ? En l'accusant
voulait-t' on, veut-on encore protéger une personne ou un groupe de
personnes ? Ne disait-il pas : « J'ai été cocu dans cette affaire ? ».
Pierre de BENOUVILLE a témoigné en faveur de son ami René HARDY au
cours des deux procès. Il l'a protégé jusqu'à sa mort. Mais il lui a reproché
d'avoir écrit dans son livre « Derniers mots » qu'il l'avait prévenu de son
arrestation. C'est surprenant. D'autant plus que Pierre PEAN écrit dans « Les
diaboliques de Caluire » : BENOUVILLE savait fort bien que HARDY avait été
arrêté par les allemands dans train de Paris dans la nuit du 7 au 8 juin 43,
ainsi qu'il m'en a lui-même fait plusieurs fois la confidence ». C'est un
témoignage irréfragable.
Pierre de BENOUVILLE dira à Laure ADLER : « J'ai la preuve que HARDY
n'a pas trahi ». C'est dommage qu'il n'ait pas jugé opportun de donner cette
preuve avant de mourir.
Le téléfilm d'Yves BOISSET proposé sur la 2eme chaîne de
télévision le 16 juillet dernier m'a déçu. Il n'apporte aucun élément nouveau
et ne respecte pas la vérité historique. Le réalisateur montre MOOG,
agent de la Gestapo qui suit HARDY dans les rues de Caluire. Il ne montre pas
Mme DELETRAZ qui précédait les allemands. Quand on veut appeler l'attention de
la population sur un événement historique, l'honnêteté intellectuelle exige que
l'on vérifie ses sources et que l'on n’essaye pas d'escamoter la vérité. Le
lendemain, dans le « Parisien » du 17 juillet un journaliste rendant compte de
l'émission écrivait : « Le film fait état de trahisons qui ont vraiment existé
et laissent entendre que d'anciens membres de la cagoule auraient aussi une
responsabilité dans le drame ».
Est-ce une autre piste ? Quel rôle a véritablement joué Lydie BASTIEN
?
De très nombreux historiens et journalistes ont écrit des livres sur
le drame de Caluire dans lesquels ils publient des documents, des interviews de
BARBIE, du couple AUBRAC, de BENOUVILLE, du Dr DUGOUJON, de l'avocat VERGES, de
Lydie BASTIEN. Lucie AUBRAC a fait condamner Gérard CHAUVY, qui dans son livre
« AUBRAC » se posait des questions sur les évasions de Raymond AUBRAC à Lyon,
et sur les contacts de Lucie AUBRAC avec Klaus BARBIE...
Faut-il supposer que le drame de Caluire est la conséquence d'une
trahison, d’une vengeance, d'un complot ? Faut-il croire René HARDY lorsqu'il
écrit : « Il n'y a pas un coupable, je crois simplement que certains d'entre
nous n'avaient pas pris de précautions suffisantes ». Le drame de Caluire
restera sans doute une énigme et fera encore couler beaucoup d'encre. Quoi
qu'il en soit j'espère que les jeunes générations se souviendront surtout de la
valeur patriotique et militaire de la résistance et de l'héroïsme de Jean
MOULIN auquel André MALRAUX a rendu un vif hommage le 19 décembre 1964 au
moment du transfert de ses cendres au Panthéon » :
« Aujourd'hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais
approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui
n'avaient pas parlé, ce jour-là, elle était le visage de la France ».
Puisse notre jeunesse s'inspirer du courage et du patriotisme de ceux
qui risqué leur vie pour sauver la France et notre civilisation.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire