samedi 29 mai 2021

Rions avec Marcel Achard - René Peyre

 

Le rideau tombe. Il est 23H15.Le public enthousiaste applaudit. Le rideau se lève, les artistes saluent les spectateurs. Les applaudissements s’amplifient. Le rideau se baisse, se relève plusieurs fois, les artistes saluent, se retirent, reviennent. Cela dure longtemps. C’est un triomphe.

Michel Simon et ses camarades ont assuré le succès de « Jean de la Lune ».Dans les coulisses, Marcel Achard, heureux, savoure son succès et essuie ses grosses lunettes, ses hublots embués par l’émotion et dans son esprit défilent, comme dans un film, les images de son enfance, de sa jeunesse, de ses parents, de ses débuts à Paris ou ses amis lyonnais montés avant lui l’accueillent et l’encouragent. Il revoit notamment le café du commerce de Sainte Foy les Lyon acheté par son père et dans lequel il est né le 5 juillet 1899. Son père fils d’un paysan de Saint Sorlin en Valloire, petit village de la Drôme, s’appelle bien Achard et non Fereol comme l’écrivaient un journaliste parisien et une journaliste du Dauphiné Libéré le lendemain de la mort de Marcel le 5 septembre 1974.

Ferréol Achard qui n’aimait pas traire les vaches ni cultiver les carottes prit un matin le train pour Lyon et trouva une place de garçon de café. Il épousa Augustine Blanc, la fille de sa sœur, un mariage plutôt surprenant que Marcel Achard évoquait ainsi en souriant : « mon père était mon oncle et ma mère ma cousine germaine ».

Quoiqu’il en soit Féréol Achard et son épouse Augustine Blanc sont nés et enterrés à Saint Sorlin en Valloire. Dans le tombeau familial reposent également Fereol, le père de Marcel décédé en 1971 ainsi que leur sœur Marguerite décédée à Lyon en 1984.

Le père de Marcel Achard parvint à acheter le café du commerce de Sainte Foy les Lyon puis « La Taverne de Genève » à Lyon dans la rue Ferrandière ou curieuse coïncidence, se trouvait la boulangerie de « La gerbe d’or » tenue par la famille Beraud, dont le fils, Henri Béraud, prix Goncourt en 1922 avec « le martyre de l’obèse » fut le mécène du jeune Marcel Achard.

Sainte Foy les Lyon, fière d’être la ville natale de Marcel Achard a inauguré le 20 septembre 1975 une plaque commémorative sur la façade du café du commerce. Marcel Achard aimait sa ville natale : « ce que j’adore dans Sainte Foy, écrivait-il, c’est quelle a su rester si originale, si différente de la grande ville qu’elle avoisine. Lyon est noble Sainte Foy est familière, Lyon est sévère, Sainte Foy est riante. » 

Marcel Achard aimait également revoir le village natal de ses parents, ses cousins et ses cousines, les familles Brunet-Peyre qui géraient un café et une boulangerie, la famille Rostaing qui tenait une mercerie, la famille Achard, Léon secrétaire de mairie pendant quelques années, son frère Louis, menuisier, la famille Bonardel, des agriculteurs.

Ferréol Achard, le père de Marcel, le frère de mon arrière grand–mère, était un bel homme brun, jovial, amateur de saucisson et de bon vin dont les sourcils épais et une moustache comparable à celle de Clemenceau ornaient le visage.

Marcel Achard ressemblait à sa mère, une femme discrète, souriante, spirituelle et aimable.

Le futur auteur dramatique manifeste déjà sa verve et son humour dans cette lettre du 4 novembre 1918 adressée à ses deux cousines de Saint Sorlin en Valloire, Marie-Louise BRUNET, ma future maman, et sa sœur Fernande.

 

 

 

Chères cousines,

Lyon ? Dites-vous Gerland ? C’est impossible ?

Nous avons mal lu ... Vous courrez à la signature. Marcel ? C’est une blague … c’est une mystification ... Marcel nous écrire ? Allons, ça n’est pas sérieux.

Eh bien ! si mesdemoiselles, madame, c’est Marcel qui vous écrit de Gerland. Marcel qui vainqueur jusqu’à présent de la grippe espagnole et des explosions de Vénissieux, écrit à ses chères cousines. Et vous ? Vous en rescapâtes-vous. Vous en sortîtes-vous, sans être trop malades ? En un mot, la « grippe » a-t-elle fait des ravages à Saint Sorlin ? Et en avez vous souffert ?

Non ! Mille fois non ! Il ne faut pas. C’est impossible.

Nous avons tardé à vous écrire, nous diriez-vous ? Non, mesdemoiselles, non madame. Mais croyez-vous qu’il était prudent de dire comme je le fais aujourd'hui   « Venez, chères cousines, venez à Lyon, venez vite»… au moment où les lyonnais « clamsaient, mourraient si vous aimiez mieux comme des mouches, de la grippe, au moment où Lyon menaçait de sauter ? Au moment où les théâtres et les cinémas étaient fermés par mesure préventive ?…Non, ça n’était pas prudent et ça n’aurait pas été drôle. Mais aujourd’hui que le péril semble conjuré, que l’on respire en paix, que les théâtres sont rouverts et que les mortalités sont plus rares je viens dire à mes cousines ce que je leur aurais dit, il y a trois semaines si … (voir plus haut).

Je viens donc leur dire « Hâtez-vous. La vie est courte. Profitez des rares instants de loisir que Dieu vous a donnés en partage. Hosanna ! » en un mot, dégrouillez-vous de faire vos malles et de venir à Lyon.

Je ne sais pas si Mademoiselle Elise, toute charmante et rieuse est encore avec vous, auquel cas je vous prierai de lui faire parvenir par n’importe quel moyen mes salutations empressées. Ne reculez devant aucun sacrifice pour les lui faire parvenir.

Ceci est une parenthèse. Je la ferme … (Quelle chance, hein ?) … la parenthèse.

Tout le monde va bien ? Vous d’abord ? La tante Célie ? L’oncle ? Sylvain ? Savoy ? Grand-père ? Jeannette ? Céline ? Sa famille ? … Léon ? Sa famille ? Notre oncle Blanc, sa famille ? Diane ? Sa famille ? Ah ! non je vais un peu loin.

Enfin, on vous attend un de ces jours, toutes les deux, petites cousines jolies et un conseil de frère « Grouillez-vous la patate ».

Vous ne comprenez peut-être pas ? En français, dépêchez-vous.

Je vous embrasse toutes trois comme je vous aime, c'est-à-dire brutalement.

Le reste de la famille, Papa, Maman, Ferréol, Marguerite vous embrasse bien aussi.

Mais enfin, n’est-ce pas, ça n’a pas autant d’importance.

Marcel ACHARD

 

Depuis son enfance, le futur auteur dramatique souffrait d’une scoliose qui n’altérait point sa gaîté et d’une myopie qu’il dissimulait derrière de grosses lunettes, ses célèbres hublots.

Son frère, prénommé Ferréol comme leur père, auquel il ressemblait, paraissait à l’aise en toute circonstance et son maintien, son élégance, son sourire attiraient le regard des femmes. Par ailleurs, il jouait très bien du violon.

Marguerite, leur sœur, de taille moyenne, vive et gracieuse aurait certainement pu chanter l’opérette si Marcel le lui avait conseillé.

J’ai conservé un très agréable souvenir d’une après-midi passée avec eux dans le salon de la maison familiale, à Saint Sorlin. Marcel au piano, Féreol avec son violon accompagnaient leur sœur qui chantait des mélodies.

A cette époque, Marcel Achard avait franchi le Rubicon, obtenu ses premiers succès dans la capitale, mais il restait un homme simple, heureux de pouvoir partager quelques instants de bonheur avec sa famille.

Dans sa jeunesse, le gone aimait les fêtes foraines, les vogues, les pitreries de clown dans les cirques, l’orgue de barbarie du manège de chevaux de bois qui déroulait ses cartons en jouant de vieilles chansons.

Au lycée, le professeur Thibaudet, dont il me recommanda plus tard la littérature lui fit aimer Rabelais (qui publia Gargantua et Pantagruel à Lyon), Molière bien sur, dont il parodia Tartuffe en écrivant « Tatruffe » destiné au « Guignol » de Lyon.

A 17 ans, le 3 janvier 1916, il adressait à Marie Louise Brunet sa cousine et ma future maman cet acrostiche :

 

L’année qui commence m’offre l’occasion de t’envoyer mes meilleurs souhaits. Je t’adresse pour cela un acrostiche de ma composition :

Maintenant, c’est la guerre horrible et monstrueuse

Autour de leur drapeau les soldats tombent mort

Rougeoyant le soleil flamboie dans ce décor ;

Illuminée la terre semble être encore heureuse

Et pourtant combien de soldats déjà sont morts ?

L’année sinistre a fui. Que celle qui commence

Offre satisfaction à nos vœux de bonheur

Utile à ta maman, Marie Louise au grand cœur

Il faudra que tu songes à nos pioupious de France

Sans pleurer sur le sort de ceux qui vont partir.

Ecoute nos souhaits, espère en l’Avenir.

Mes meilleurs baisers à ta mère et à la petite Fernande de la part de ton cousin Marcel Achard.

 

Quelques mois plus tard, il obtint un poste d’instituteur, comme le souhaitait son père, à Vaux en Velin dans la banlieue lyonnaise, mais se rendit compte très rapidement que l’enseignement n’était pas sa vocation.

Plusieurs lyonnais écrivaient dans des journaux parisiens et gravitaient autour d’Henri Béraud, le « patriarche ».

Pourquoi ne pas les rejoindre ?

Le 13 décembre 1918, Marcel Achard âgé de 19 ans montait dans un wagon de troisième classe et descendait à la Gare de Lyon à Paris.

L’aventure commençait.

Comme il fallait se nourrir et se loger il exerça divers métiers : représentant en papier carbone, secrétaire, figurant dans certains vaudevilles …

Devenu souffleur au théâtre du Vieux Colombier certains soirs il soufflait à l’artiste son propre texte plutôt que celui de l’auteur. Le directeur excédé le renvoya le jour, ou sans doute distrait par les jambes d’une artiste, il oublia de souffler la réplique.

Quelques jours plus tard son ami Michel Piot plus connu sous le nom de Pierre Scize, ancien combattant amputé d’un bras, le présenta à Henri Béraud. Celui-ci intervint auprès de Tery directeur du journal « L’œuvre » qui confia à Marcel Achard la rubrique des halles et des marchés. Henri Béraud raconte avec humour dans son livre « Les derniers beaux jours » les débuts de Marcel Achard dans le journalisme : « Il fit, chose à prévoir, des débuts remarqués. Pour la première fois depuis la création des Halles, la langouste se vit coter au dessous du merlan et les truffes au dessous du potiron. Etienne Marcel en faillit tomber de son piédestal, et les mandataires se demandent encore s’ils n’ont pas rêvé. »

Le Directeur de « L’œuvre » décida de confier Marcel Achard et son ami Pierre Scize « ces deux incomparables visionnaires » au Directeur du journal « bonsoir » dont la belle humeur toutefois, comme sa bonté, s’arrêtaient aux cordons de sa bourse. Nos deux compères et leurs amis Henri Béraud et Henri Jeanson animèrent avec beaucoup d’humour ce journal... « Nous étions si jeunes et l’on s’amusait tant ! » écrira Henri Béraud. Parmi les anecdotes qu’il cite dans « Les derniers beaux jours » je retiendrai celle de l’os dans l’affaire Landru. Les enquêteurs firent draguer un étang en espérant trouver des membres (des restes ?) des victimes. Soudain un agent brandit un os qui pouvait être un tibia. En réalité il s’agissait d’un os de bœuf lancé la veille par Marcel Achard !

Dans une autre affaire Marcel prétendit être premier basson à l’Opéra. En effet on s’amusait beaucoup mais on gagnait peu d’argent.

Henri Béraud, devenu grand reporter pour « Le petit parisien » et lauréat du Goncourt avec « Le martyre de l’obèse » en 1922, confia son secrétariat à Marcel Achard pour lui apprendre, disait –il, les rudiments du journalisme.

La chance, elle aussi, aida Marcel le jour ou Téry le directeur du journal « L’œuvre » n’ayant pas d’autre rédacteur sous la main lui demanda d’aller à Versailles et de rendre compte de la conférence sur la paix. Sur le trajet deux personnes font signe de s’arrêter au taxi dans lequel se trouve Marcel Achard. Deux journalistes, un américain et André Viollis du « Petit parisien » demandent à Marcel Achard de les conduire non pas à Versailles mais à Vaucresson où ils doivent rencontrer un diplomate allemand De Brockdorff-Rantzeau.Marcel Achard accepte. Les confidences des deux journalistes lui permirent de rédiger un excellent article apprécié par le directeur du journal qui lui confia la rubrique des spectacles et augmenta son salaire. Dans ses nouvelles fonctions il rencontre Charles Dullin, directeur du théâtre de l’Atelier, qui lui conseille d’écrire une pièce de théâtre.

Ce sera fait en 1923.C’est Charles Dullin qui mettra en scène dans son théâtre la première pièce de Marcel Achard « Voulez vous jouer avec moa ? » Dans cette pièce burlesque et drôle inspirée par des souvenirs d’enfance, Marcel Achard tient le rôle du clown Crokson car aucun autre acteur n’avait accepté de recevoir une trentaine de coups de pieds dans les fesses chaque soir. Ce fut le déclic, le début d’une brillante carrière.

Pendant une quarantaine d’années Marcel Achard va distraire, faire rire et émouvoir le public parisien et le public de Province et certaines de ses pièces seront également jouées à l’étranger, notamment aux USA.

Il a marqué son époque par plusieurs pièces empreintes d’humour, de poésie, de gentillesse. S’inspirait-il de Molière, d’Edmond Rostand, de Marivaux, de Feydeau ? Dans son livre « rions avec eux », il écrivait « Georges Feydeau est, après Molière, le plus grand auteur comique français ». Mais, à un journaliste qui lui demandait en 1942 quelle personne il aurait voulu connaître, il répondit : « Il y a vingt ans, je vous aurais dit Musset. Il y a quinze ans, je vous aurais dit Molière.Il y a dix ans je vous aurais dit Racine.Il y a cinq ans je vous aurais dit Stendhal… Mais, depuis, les évènements m’ont appris que les hommes étaient encore plus importants que leurs œuvres, aussi je vous répondrais aujourd’hui, comme je l’aurais fait il y a vingt cinq ans : l’homme que j’aurais voulu rencontrer c’est Alexandre Dumas père et j’aurais essayé à tout prix de m’en faire un ami parce que c’était un grand cœur, une grande générosité et une grande indulgence »

En tout cas, entre les deux guerres, pendant cette période marquée par des scandales, par l’instabilité ministérielle, par les affrontements du 6 Février 1934, par l’insouciance des français, Marcel Achard va faire jouer une vingtaine de comédies.

En 1925, il épouse Juliette Marty qui veillera sur lui jusqu’à sa mort.

Le 16 avril 1929 Michel Simon assure le succès de « Jean de la Lune » au théâtre des Champs Elysées. Deux autres pièces « Domino » en 1932 et « Noix de coco » en 1936 confirment le talent et le succès de Marcel Achard.

Marcel et Juliette vivent dans un appartement situé au troisième étage d’un immeuble situé 8 rue de Courty, près de la chambre des députés. Grâce au succès de « Domino » le couple acquiert une maison à la Chaussée Saint Victor près de Blois et la fait réparer  en 1947 grâce au succès de la comédie « Auprès de ma blonde ». Ils sortent beaucoup le soir, assistent à des générales, à des réceptions, à des concerts, à des dîners. Marcel Achard a de nombreux amis, parmi lesquels Marcel Pagnol, Henri Béraud, Henri Jeanson,  Joseph Kessel, Pierre Scize, Pierre Lazareff. Il ne refuse pas d’assister avec eux, avec Carco et Marc Orlan au dîner du Crapouillot organisé par Galtier Boissière dans le restaurant « Le Grand Vefour » puis dans le restaurant Dagorno à La Villette.

Les convives mangent de la bonne viande, boivent beaucoup. Au cours et à la fin du repas, ils plaisantent, s’amusent, chantent et tout nouvel invité doit improviser un récit ou chanter de vieux refrains. Un jour Juliette Achard reprochera à Jean Galtier Boissière d’organiser ce banquet ou « les femmes n’étaient pas admises et dont son époux revenait à quatre heures du matin ivre et puant la pomme de terre frite.»

Marcel Achard fut également invité à des soirées dans le « caveau caucasien » ou Joseph Kessel emporté par la musique tzigane buvait des carafons de vodka et des verres de champagne et, parfois, au petit matin, brisait des verres et mâchait des éclats de cristallin.

Au cours de l’une de ces soirées, Marcel Achard eut le plaisir de connaître Saint Exupéry qu’il hébergea ensuite quelques jours dans sa maison de campagne avant que l’auteur du « Petit Prince » ne rejoigne les USA.

Comme tout vrai lyonnais, Marcel Achard aimait la bonne cuisine et appréciait notamment celle du père Bise à Talloire.

Un jour, invité par un ami et le maire d’Evian au restaurant La Verniaz, situé sur le flanc de la colline qui domine le Lac Léman, j’aperçu Marcel Achard et son épouse qui dégustaient un excellent repas. Je les saluais et Marcel Achard me dit en souriant : « Je fais une cure à Evian !». Mais le bon vivant s’isolait à Paris et dans sa maison de campagne lorsque l’inspiration s’imposait. Alors, pendant plusieurs jours, pendant des heures, souvent la nuit, comme Balzac, il suivait ses personnages, leur soufflait les dialogues les plus drôles, les poussaient dans des situations cocasses, qui, selon Voltaire, font le succès du théâtre.

Parmi ses plus grands succès figurent « Jean de la Lune » traduit en 19 langues, « Domino » et « Patate » joués pendant six ans. Paul Cordeau écrivait dans « France Soir » le lendemain de la première représentation de « Patate » : « Hier soir au théâtre Saint Georges nous étions cinq cents spectateurs qui à chaque scène de « Patate » avions envie de nous écrier « bravo Achard, voilà de l’excellente comédie ». Il ajoutait : « Marcel Achard dut venir sur le plateau recevoir la plus enthousiaste acclamation qui ait retenti depuis longtemps dans un théâtre parisien. L’auteur nous avait rendu le meilleur Marcel Achard, le Marcel Achard des grandes années, plus jeune, plus pétillant de verve et d’humour, plus narquois et plus spirituel que jamais. »

Quel triomphe !

Quel succès pour les artistes, Pierre Dux, Simone Renant, Maurice Teynac et la jeune Sophie Daumier !

Deux ans plus tard, le jeudi 3 décembre 1959, Marcel Achard était reçu à l’Académie Française par son ami Marcel Pagnol avec beaucoup d’humour. Que l’on en juge :

« Je commencerai donc par vous dire que le plaisir que j’ai à vous accueillir sous cette coupole n’a d’égal que mon étonnement de vous y voir. Non point que votre talent n’ait mérité ce siège, qu’il est convenu d’appeler fauteuil, mais à cause de certain épisode de votre vie passée, que je me vois forcé de rappeler aujourd’hui ».

Tout le monde sait que Molière n’appartint pas à l’Académie, et l’on croit généralement (à cause des deux vers de Boileau) que notre Compagnie ne lui pardonna pas de s’être enfermé dans un sac pour y recevoir, en public, des coups de bâton. Or, Boileau, prince des critiques, parlait avec une grande légèreté d’une pièce qu’il n’avait certainement pas vue, car Molière, dans les Fourberies, n’a jamais joué le rôle de Géronte ; il jouait Scapin, et ces coups de bâton, c’était lui qui les donnait : exercice, en somme, honorable, et dans lequel excellèrent les grands seigneurs. Ce que l’Académie ne pardonna pas à Molière, ce fut tout simplement d’avoir fait le métier de comédien.

Eh bien, Monsieur, je regrette d’avoir à rappeler ici que vous êtes monté vous-même sur les tréteaux. Non pas dans un salon, ou à la Cour, comme le fit notre Louis XIV, par simple divertissement, mais sur un théâtre public. Et quels rôles avez-vous interprétés ? Cinna ? Hernani ? Chatterton ? Point. Vous avez joué, Monsieur, le rôle d’un pitre de cirque, dans une pièce que vous aviez délibérément composée vous-même. J’en parle savamment, car je vous ai vu, la face enfarinée, le menton pointé, les pieds en dedans, imiter de votre mieux l’accent anglais du cirque ; je vous ai vu, dis-je, soulever de grands éclats de rire et des applaudissements prolongés en recevant, Monsieur, des coups de pied !...

Combien de coups de pied ? 4.440. C’est vous qui l’avez avoué à l’envoyé d’une gazette qui ne se fit point faute de l’imprimer. Et des coups de pied où ? Au théâtre de l’Atelier, devant une foule chaque soir renouvelée.

Votre cas était donc beaucoup plus grave que celui de Molière : vous voilà pourtant parmi nous, et je vais vous dire pourquoi.

Tout d’abord, l’Académie a bien voulu déduire de votre passif le fait que cette carrière d’histrion fut courte, malgré votre scandaleux succès personnel. D’autre part, deux mois avant qu’il n’eût été parlé de votre candidature, un éminent critique de notre génération écrivit une petite phrase d’une grande importance :

« À la première de Voulez-vous jouer avec moâ, en 1923, on vit un auteur débutant, Marcel Achard, tenir lui-même le principal rôle de sa pièce parce qu’on n’avait pas pu trouver un interprète à meilleur marché ».

Et, Marcel Pagnol, toujours avec humour rappelle les origines de Marcel Achard ses relations avec Pierre Scize, Henri Beraud, Jeanson et lui-même, ses succès au théâtre et cite notamment « Jean de la lune », « l’une de vos oeuvres majeures, son succès fut éclatant » et cette réflexion de Gaston Pawlowski : « le rare mérite de M Marcel Achard est de nous avoir restitué cette verve et ce dialogue comique véritable qui apparente l’auteur aux plus grands classiques d’autrefois ». Marcel Pagnol cite également cette réflexion de Pierre Brisson : « L’esprit de Marcel Achard ne peut inspirer qu’une vive amitié. Il apporte au théâtre un style libre et léger, qui porte la marque la plus personnelle et la plus séduisante ».Parlant ensuite de « Patate », Marcel Pagnol observe : « je crois que c’est votre chef d’œuvre et peut être un chef d’oeuvre tout court. ».Puis il ajoute : « c’est la poésie qui est le charme de votre œuvre et le secret de sa réussite. » Il termine ainsi son éloge : « Je ne prétends pas que vous eussiez pu écrire Hamlet ou le Roi Lear ; non vous n’êtes pas un autre Shakespeare. Je dis que vous avez parfois retrouvé le ton de ses œuvres légères telles que le Songe, La mégère apprivoisée ou le Conte d’hiver. Ce n’est pas un petit éloge. »

Marcel Achard apprécia beaucoup cet éloge et l’humour de son grand ami. Après son admission dans le Cénacle des Immortels. Marcel Achard écrivit d’autres pièces de théâtre en particulier « L’idiote » en 1961 crée par Annie Girardot.

En 1957, il publie un livre intitulé « Rions avec eux », et dans un texte très court qu’il ne considérait pas comme une préface, l’auteur précise : « ce petit livre est un recueil d’enthousiasmes. Ce voudrait être un bréviaire à l’usage des amateurs de rire. »

A tout seigneur tout honneur, Marcel Achard évoque tout d’abord Victor Hugo et la première d’Hernani. « La première d’Hernani, est un événement écrit il, c’est plus qu’un évènement, c’est de l’histoire, c’est une date : 25 Février 1830.La date préférée de tous les auteurs dramatiques.» Ce soir là en effet, Victor Hugo, Théophile Gautier en gilet rouge, soulevèrent les vives protestations « des anciens »  auxquels ils imposaient un nouveau style proche de la réalité ; le drame devra désormais se dérouler sur la scène, face aux spectateurs et non plus dans les coulisses comme dans le Cid. L’évocation de la représentation d’Hernani permit évidemment à Marcel Achard de plaisanter. Ainsi il écrivait : «  La froideur commença par Mademoiselle Mars. Comme son nom pouvait le faire prévoir, elle avait ce qu’on appelle un caractère à giboulées »

Et Marcel Achard termina le premier chapitre de son livre sur un dialogue entre deux acteurs dont l’un prononce le texte originel « vieillard stupide, il l’aime » et l’autre, un peu sourd entend « vieil as de pique, il l’aime ».Marcel Achard conclut : « Pour être révolutionnaire en art, il faut tout de même causer une espèce de révolution. C’est la grâce que je nous souhaite, à mes jeunes confrères et à moi. »

Dans le chapitre suivant Marcel Achard parle de l’opérette « La belle Hélène » tout d’abord mal accueillie par les critiques ? qui obtint ensuite un tel succès que toutes les loges étaient louées quinze jours à l’avance grâce à la musique d’Offenbach surnommé « le Mozart des Champs Elysées » par Rossini.

Ensuite Marcel Achard rend un hommage mérité à Georges Feydeau qui est, « après Molière, le plus grand auteur comique français ». On ne peut en douter quand on a vu Jacques Charron et Micheline Boudet jouer « Ne te promènes donc pas toute nue », « Feue la mère de Madame », « La dame de chez Maxim’s » et « Le fil à la patte » avec leur fabuleux complice Robert Hirsh.

Marcel Achard parle ensuite d’Alphonse Allais qui commençait ainsi une conférence : « Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs on m’a demandé de faire une conférence sur le théâtre. J’ai peur qu’elle ne vous attriste, donc comme vous le savez, malheureusement Shakespeare est mort, Corneille est mort, Racine est mort, Molière est mort, Beaumarchais est mort, Marivaux est mort … et je ne me sens pas très bien moi-même. » Marcel Achard parle également de Tristan Bernard  dont il cite cette réplique :

«   - Vous allez être heureux maintenant ?

- Oui le bonheur… qu’est ce que le bonheur… enfin je m’y ferai. »

Marcel Achard ne pouvait oublier Sacha Guitry qu’il qualifie de roi du théâtre, auteur de 124 comédies. Il cite en particulier cette phrase du mari d’Yvonne Printemps faisant référence à son père le grand artiste Lucien Guitry: « Mon nom était fait, je me suis fait un prénom. » Marcel Achard cite plusieurs réflexions de Sacha Guitry dont celle-ci : « Il faut adorer les femmes, pour avoir le droit d’en dire du mal. » On pourrait ajouter ce dialogue :

>« - D’où êtes-vous ?

- Je suis d’Inde.

- Surtout ne le dites pas ! »

Le dernier chapitre du livre s’intitule « Marcel Pagnol, mon ami. »

L’auteur de « Patate » écrit : « Marcel Pagnol est le poète de Marseille. Pour parler de celui qui est mon ami depuis trente ans, de celui à qui j’ai dédié « Nous irons à Valparaiso. » je suis toujours en train de prendre l’accent »

Il évoque leur première rencontre dans l’atelier de Charles Dullin. A cet époque, dit il, il avait la maigreur d’une arête de rascasse. Je pourrais ajouter avec Fernandel : « Marcel Achard aussi » L’auteur de « Jean de la lune » encore plus mal logé que son ami Pagnol occupait à cette époque une loge du théâtre de l’Atelier, au-dessus de l’écurie du cheval, qui représentait, selon Pagnol, le luxe insultant de Charles Dullin.

Les deux Marcel se rencontraient fréquemment avec Steve Passeur, Jeanson, parlaient de leurs projets, se consultaient sur la valeur de leurs textes… Puis avec le succès vint le confort. Marcel Achard se plait à rappeler certaines formules de Marcel Pagnol : « Il ne passe jamais au soleil, ça le fatigue de traîner son ombre. »  ou « le chagrin, c’est comme le ver solitaire, le tout c’est de le faire sortir. » Et Marcel Achard avoue : « Nous étions une cabale fraternelle et nous mettions le parti pris et l’injustice au service de l’amitié. »

Il termine ainsi « Aujourd’hui si Marcel Pagnol est illustre, s’il est de l’Académie ce n’est pas seulement parce qu’il nous a apporté son cœur de sa province, mais le cœur de sa province tout entier. »

En 1967, ses confrères de l’Académie demandèrent à Marcel Achard de faire l’éloge de la vertu au cours de la séance publique annuelle. Il commença ainsi sa délicate allocution : « La vertu, si elle est démodée, est tout de même d’actualité. On en parle toujours. Pour en rire, mais on en parle. Maintenant elle fait rire parce qu’elle est synonyme de niaiserie. Les Français sont ils doués pour la vertu ? On peut se poser sérieusement la question. Personnellement je répondrai par la négative. La beauté leur a toujours inspiré moins de respect que le  désir. » Marcel Achard cite Feydeau : « Les honnêtes femmes respirent la vertu, mais elles sont tout de suite essoufflées … » et Ninon de Lenclos « l’amour ne meurt jamais de faim, mais souvent d’indigestion. »

Tout en fustigeant les mœurs de notre temps, l’érotisme, l’inceste et la sodomie,  Marcel Achard souriant derrière ses hublots, manifestait avec humour son optimisme.

Deux ans auparavant, le 11 octobre 1965, Marcel Achard fut admis à Lyon dans l’ordre du clou, confrérie des humoristes lyonnais rassemblés autour de cette devise : « L’humour doit ressembler à la mousse de champagne, pétillante et éphémère. »

Le doux, le spirituel Marcel Achard eut tout de même le courage de sauver un soir d’août 44, un jeune résistant qui frappait à sa porte rue de Courty, poursuivi par les soldats allemands. Pendant l’occupation, en 1943, il fit jouer au théâtre des Célestins à Lyon : « Savez vous planter les choux » qui n’obtint pas un grand succès.

Marcel Achard répondit au discours de réception de Thierry Maulnier, le 20 janvier 1966, prononça un discours à l’occasion de la mort du pasteur Marc Boegner le 7 janvier 1971, un discours à l’occasion de la mort du Cardinal Tisserant en Février 1972, et répondit au discours de réception de Jean-Jacques Gautier le 17 Mai 1973.

Marcel Achard contribua encore à la réalisation de comédies musicales « La polka des lampions », mise en musique par Gilbert Bécaud, jouée au théâtre du Châtelet à Paris, « La p’tite Lilly » jouée par Edith Piaf au théâtre de l’ABC…

Carrière dramatique prolongée à l’écran avec une adaptation de « Jean de la lune » aux USA, gros succès qui en entraîna d’autres très rentables avec des dialoguistes et scénaristes américains ou français.

Enfin il fut le dialoguiste de films célèbres au premier rang desquels figurent : « Madame de » de Max Ophuls et « Mayerling » de Litvak. Marcel ACHARD rencontra également Charlie CHAPLIN et se disait émerveillé par : « La ruée vers l’or », « Les lumières de la ville » et « Le kid ».

Malheureusement l’année 1974 fut funeste aux deux grands amis Marcel Achard et Marcel Pagnol.

Le 18 avril 1974 Marcel Pagnol décédait. Quelques mois plus tard, le 4 septembre 1974, Marcel Achard très éprouvé par le décès de son ami succombait dans son appartement de la rue de Courty.

Plusieurs journaux à Paris, à Lyon, à Valence rendirent hommage à l’auteur de « Jean de la lune » et de « Patate ». Dans le Figaro du 5 septembre 1974 deux académiciens exprimèrent leur peine : Jean d’Ormesson et Jean-Jacques Gautier

D’Ormesson écrivait : « Marcel Achard ne prenait rien au sérieux, sauf le cœur. La vie lui avait tout donné, les succès, les triomphes, une célébrité universelle. Au fond de ce pétillement qui ne s’arrêtait jamais, il y avait de la mélancolie et parfois de la tristesse. Marcel Achard avait un cœur presque aussi gros que ses lunettes. Comme ces clowns qu’il aimait, il était peut-être triste, mais il nous faisait rire. Il nous laisse aujourd’hui l’image qui survivra, d’un maître merveilleux du rire. Et c’est nous qui pleurons. »

Jean Jacques Gautier, très ému, lui aussi, regrette la disparition de Marcel Achard : « On disait toujours qu’il était « gentil »! Chez lui, c’était une vraie qualité humaine. Il l‘ était en profondeur. Il adorait le théâtre. Il le vivait. Il aimait même le talent de ses cadets. Il a ouvert les bras à Roussin, à Ionesco, à Françoise Dorin, … Achard avait du cœur, de l’esprit, du talent. Il a été toute sa vie un poète. » Jean-Jacques Gautier cite cette anecdote, Achard passant sur le pont des arts, voit un aveugle et sa sébille vide. Il n’a pas d’argent mais remplace sur l’ardoise ce qui était écrit par cette phrase : « Le printemps est là depuis ce matin, et je ne le verrai pas. » Et la sébile se remplit.

D’autres auteurs, d’autres journalistes, des acteurs ont rendu hommage à Marcel Achard. Je rappellerai seulement ce témoignage de Pierre Dux, administrateur du théâtre de la Comédie Française, l’un des plus grands acteurs de son époque : « Il était un auteur dramatique d’un immense talent dont l’œuvre très personnelle, était aussi celle d’un poète. Cette oeuvre a été trop peu représentée à la Comédie Française ».

Les plus grands acteurs jouèrent ses pièces de théâtre : Pierre Dux, Michel Simon, Louis Jouvet, Raimu, Paul Meurisse, Gaby Morlais, Madeleine Renaud, Annie Girardot, Pierre Fresnay, Yvonne printemps, Pauline Carton …

Ses obsèques eurent lieu dans l’intimité le samedi 7 septembre à la Chaussée Saint-Victor, dans le Loir et Cher ou se trouvait sa maison de campagne. Sa sœur vint le voir sur son lit de mort à Paris. Quelques jours après l’inhumation de Marcel Achard, je présentai mes condoléances à Madame Juliette Achard accompagnée de mon épouse et de mes deux enfants.

Juliette Achard est morte en 1978. elle s’est occupée pendant quatorze ans de l’orphelinat des arts et a tout légué à cette ouvre de bienfaisance, un grand appartement, les droits d’auteur de son mari, les meubles livres et bijoux, l’argenterie, les tableaux. La vente s’est effectuée dans les locaux de l’Hôtel Drouot à Paris.

D’après un article paru dans le Figaro le 23 juin 1980, sous le titre « Achard : le temps des musées », la comédienne Colette Brosset a remis au nom de l’orphelinat des arts dont elle était présidente les archives de Marcel Achard au conservateur de la Bibliothèque Nationale. en présence de Mme Alice Saunier Seité. L’habit, l’épée, et les célèbres lunettes rondes devaient être confiées au musée Carnavalet.

Ainsi s’écoule la vie. Quand arrive le jour fatidique nous abandonnons tout ce que nous avons aimé, n’emportant que nos souvenirs. Pour l’instant je conserve le livre que m’avait offert marcel Achard, « rions avec eux », sur la première page duquel il s’est représenté d’un coup de plume en tenue d’académiciens en ajoutant cette gentille dédicace : « Pour René Peyre, mon cousin selon mon cœur, avec beaucoup de tendresse et un grand coup de bicorne amical. Marcel »

Je conserve également le livret de « Malbrought s’en va t’en guerre » sur lequel figure cette dédicace de 1946 : « A René Peyre en souvenir de sa maman et de notre jeunesse à Saint Sorlin avec la tendre affection de son vieux cousin. Marcel Achard »

En 1943, Marcel Achard m’a invité à la représentation de « Savez vous planter les choux » au théâtre des Célestins à Lyon. Il était entouré de son frère, de sa belle-sœur, de sa sœur mais Juliette était absente. Au cours du repas, qui suivit la représentation, j’eus le plaisir d’apprécier la fantaisie et l’esprit de Pauline Carton.

En 1950, à l’occasion de mon mariage, Marcel Achard m’offrit deux places d’orchestre au théâtre de la Comédie Française à Paris ou l’on jouait ce soir là « Cyrano de Bergerac », le célèbre drame en vers dans lequel Edmond Rostand exprime sa verve et son talent. J’ai compris plus tard que si nous étions au troisième rang d’orchestre, un peu trop près de la scène, c’était parce que Marcel Achard étant myope, ces places lui étaient réservées lorsqu’il assistait à un spectacle avec son épouse.

J’ai déjeuné chez lui, rue de Courty avec mes parents et avec Marcel Achard  et Maman dans un restaurant des Champs Elysées. J’ai eu le plaisir de rencontrer chez lui, Pierre Dux.

Marcel Achard vint un jour à Saint Sorlin en compagnie de Marcel Pagnol ; ils rencontrèrent mes parents et Marcel Pagnol apprécia, paraît-il le caractère de mon père, son bon sens, sa mémoire et sa gentillesse.

Marcel Achard était non seulement drôle et toujours souriant mais également un homme très sensible qui conservait un souvenir affectueux des personnes qu’il avait connu dans sa jeunesse, en particulier de Maman.

Auteur dramatique célèbre dans le monde entier, commandeur de la légion d’honneur, commandeur des arts et lettres, Marcel Achard est resté toute sa vie un homme simple et souriant. Malheureusement les relations entre son épouse et les membres de sa famille se sont apparemment détériorées. Juliette ne l’accompagnait pas quand il venait à Lyon ou dans la Valloire et c’est sans doute pourquoi Marcel Achard n’est pas enterré dans le caveau familial à Saint Sorlin en Valloire auprès de ses parents, de son frère et de sa sœur.

Je suis heureux et fier d’être le cousin de Marcel Achard, non pas parce qu’il était un auteur dramatique célèbre mais parce qu’il a réalisé son rêve d’enfant et conservé malgré le succès, le comportement d’un homme simple, souriant et affectueux. Je l’admirais parce qu’il avait du talent, parce qu’il cultivait l’amitié véritable et savait faire rimer tendresse avec gentillesse, amour avec humour.

 

René PEYRE


mercredi 17 février 2021

Pierre Vallier 1927-2020


Dans une interview, il déclarait n’avoir jamais utilisé une machine à écrire, ni un ordinateur. Il préférait écrire à la main. Comme mon père. Né à Albon dans la Drôme, il était entré aux Allobroges puis au Dauphiné Libéré. Parallèlement, il fut le correspondant local de journaux nationaux, Le Figaro et Le Monde avant de devenir Directeur du Dauphiné Libéré pour la région Drôme Ardèche. Il a noué d’innombrables amitiés comme celle de mon ascendant ou de Philippe Jaccottet :

 

« Puis vient enfin ce qui pourrait vaincre notre

détresse, l'air plus léger que l'air et sur les cimes la lumière, peut-être les propos d'un homme évoquant sa

jeunesse, entendus quand la nuit s'approche et qu'un vain

bruit de guerre pour la dixième fois vient déranger l'exhalaison des

champs. »

 

Fixé dans la ville de Valence qu’il aimait parcourir, il a publié plusieurs ouvrages et regroupé dernièrement soixante-dix de ses articles dans le recueil Nonchalances. L'auditorium de la nouvelle médiathèque Maubourg porte désormais son nom.

 

Il disait : « les gens que j’ai aimés me restent fidèles, longtemps après. Nous nous écrivons, nous téléphonons aussi. Ils sont rassemblés dans un petit carnet, bien usé. L’amitié est essentielle. Comme l’amour. »

 

Je dois à ce petit carnet ainsi qu’à son amour de la poésie deux articles bienveillants dans le Dauphiné Libéré sur deux de mes recueils de poèmes, l’un en 1979, l’autre en 2016.




 

Soyez béni M Vallier.


Académiciens - Membres actuels - Pierre Vallier - Académie Drômoise des Lettres, Sciences et Arts (academiedromoise.fr)

 

mardi 26 janvier 2021

SAINT-EXUPERY

 

La presse du 8 avril 2004 dernier annonçait que des débris de l'avion P38 de SAINT-EXUPERY avaient été retrouvés au large de Marseille à une profondeur de 70 mètres.

Déjà des recherches s'étaient effectuées en 1998 après la découverte de la gourmette de SAINT-EXUPERY dans les filets d'un bateau de pêche. L'obstination de quelques personnes aurait donc percé le mystère de la disparition de SAINT-EXUPERY le 31 juillet 1944.

J'aurais préféré que ces recherches soient interrompues et que l'on ne connaisse jamais les circonstances de sa mort.

A t-il été victime d'un malaise, a t-il voulu quitter notre planète, a t-il été abattu par un avion allemand ?

Est-il nécessaire de le savoir ? Laissez-nous croire qu'il a rejoint le petit prince sur sa planète. Puisse la jeunesse retenir les messages de l'humaniste, du philosophe, du combattant, du témoin de la débâcle et de la résurrection qui écrivait dans « Pilote de guerre »: « Nous avons disposé de gerbes de blé pour vaincre des tanks. Et aujourd'hui l'anéantissement est consommé. Il n'est plus ni armée, ni réserves, ni liaisons, ni matériel ».

Après la défaite de 40, SAINT-EXUPERY s'est réfugié aux USA en attendant de pouvoir contribuer à la libération de la France.

Dans « Pilote de guerre », « Vol de nuit », « Courrier Sud », « Terre des hommes », SAINT-EXUPERY exprime ses souvenirs, les sentiments qu'il éprouve à bord de son avion quand il risque sa vie au-dessus d'Arras en flamme, au-dessus des Pyrénées ou des Andes, quand il contemple les lumières qui brillent sur terre comme des étoiles et lui inspirent cette réflexion : « parmi ces étoiles vivantes, combien de fenêtres fermées, combien d'étoiles éteintes, combien d'hommes endormis ».

 En 1926, il entre dans la compagnie Latécoère à Toulouse dirigée par Didier DAURAT, contribue au développement de l'aéropostale, assure des vols entre Toulouse et Dakar, dirige le poste de cap Juby, contribue à la formation de la ligne d'Amérique du Sud et rédige « Vol de nuit » qui obtient le prix Femina en 1931.

Dans ce livre, le personnage principal. Rivière incarne Didier DAURAT. C'est un chef exigeant, qui impose aux pilotes, aux radios, aux mécaniciens, une rigueur qui les protège contre les dangers de leur métier et leur permet d'acheminer le courrier dans les délais prévus.

Malgré l’autorité de RIVIERE, « une silencieuse fraternité liait au fond d’eux-mêmes, Rivière et ses pilotes ».

Dans « Terre des hommes », grand prix du roman de l'Académie Française en 1939, sans doute son meilleur livre, SAINT-EXUPERY écrit : « l'homme se découvre quand il se mesure avec l'obstacle ».

C'est effectivement en luttant contre la tempête, le vent, la pluie, en survolant la mer, le désert, les montagnes que SAINT-E X et ses amis, GUILLAUMET, MERMOZ, NERI montrent leur volonté et leur courage.

 C'est MERMOZ, contraint d'atterrir dans les Andes, qui parvient pousser l'avion vers le précipice : « l'avion dans la chute prit enfin assez vitesse pour obéir de nouveau aux commandes ».

C'est GUILLAUMET contraint d'atterrir, lui aussi, sur les Andes qui marche plusieurs jours dans la neige et parvient à reprendre contact avec ses camarades.

C'est SAINT-EXUPERY, en panne avec PREVOST dans le désert de Lybie : « nous avons fait ce que nous avons pu : 60 kilomètres presque sans boire. Les mirages...j'ai levé les bras en criant mais cet homme qui gesticulait n'était qu'un rocher noir ».

SAINT-EXUPERY écrit dans « Terre des hommes » : « la grandeur d'un métier est peut-être, avant tout, d'unir des hommes : il n'est qu'un luxe véritable et c'est celui des relations humaines ».

C'est le sentiment que nous avons éprouvé dans les services de la Poste et de France Télécom.

Un pilote de son escadrille se souvient du caractère de SAINT-EXUPERY : « La simplicité de SAINT- EXUPERY était remarquable : il ne voulait pas qu'on le traitât comme un grand homme et que sa célébrité fut un obstacle entre lui et ses pilotes ; il voulait être vraiment l'un de nous et y mettait tout son cœur. Cela lui était d'ailleurs facile car il avait le talent d'être sociable ; il était impossible de s'ennuyer avec lui. Parfois il nous défiait aux échecs ou bien il nous faisait des tours de cartes : son habileté et sa finesse psychologique lui avaient permis d'acquérir, dans ce domaine, une maîtrise éblouissante ».

SAINT-EXUPERY, homme sensible, avait noué des liens d'amitié avec MERMOZ, GUILLAUMET, Jean PREVOST, KESSEL. Il écrit dans « Terre des hommes » : « si je cherche dans mes souvenirs ceux qui m'ont laissé un goût durable, si je fais le bilan des heures qui ont compté, à coup sûr je retrouve celles que nulle fortune ne m'eut procurée. On n'achète pas l'amitié d'un MERMOZ, d'un compagnon que les épreuves vécues ensemble ont liées pour toujours »

Quand SAINT-EXUPERY retrouve GUILLAUMET qu'il avait vainement recherché en avion, il éprouve une joie intense.

Il cite dans « Terre des hommes » cette réflexion de GUILLAUMET : «ce que j'ai fait, je le jure, jamais aucune bête ne l'aurait fait». Et SAINT-EXUPERY magnifie l'exploit de son ami : « sa grandeur, c'est de se sentir responsable. Responsable de lui, du courrier et des camarades qui espèrent. Il tient dans ses mains leur peine ou leur joie… Responsable un peu du destin des hommes dans la mesure de son travail. Être homme, c'est précisément être responsable ».

Le grand MERMOZ avait fréquenté DE LA ROCQUE mais SAINT-EXUPERY n'était pas engagé politiquement. Aussi pouvait-il écrire dans « Pilote de guerre » : «je combattrai quiconque prétendra asservir à un individu comme à une masse d'individus, la liberté de l'homme ».

Combien de Chefs d'Etats, combien d'hommes aujourd'hui se soucient du bonheur de leurs concitoyens, de leur liberté et de leur sécurité ?

Autre réflexion dans « Lettre à un otage » que l'on pourrait faire aujourd'hui : « respect de l'homme ! ... Si le respect de l'homme est fondé dans le cœur des hommes, les hommes finiront bien par fonder en retour le système social, politique ou économique qui consacrera ce respect ». Hélas, en l'an 2004 on ne peut pas écrire que le respect de l'homme s'impose dans le monde entier !

L'humanisme de SAINT-EXUPERY s'exprime fortement dans ce paragraphe de « Terre des hommes » : « Pourquoi nous haïr ? Nous sommes solidaires, emportés par la même planète, équipage d'un même navire. Et s'il est bon que des civilisations s'opposent pour favoriser des synthèses nouvelles il est monstrueux qu'elles s'entre-dévorent ».

Ce message n'est-il pas toujours d'actualité ?

Alors qu'il avait obtenu, non sans difficulté en raison de son âge, l'autorisation de reprendre du service, de piloter des avions modernes très rapides qui lui permettaient de survoler la France, SAINT- EXUPERY se sentait seul après la mort de ses meilleurs amis et parfois laissait percer sa mélancolie, sa tristesse et ses inquiétudes.

Quand il apprend en 1940 la mort de GUILLAUMET il souffre : GUILLAUMET est mort il me semble ce soir que je n'ai plus d'amis. Je suis le seul qui reste de l'équipe de Dakar. Je n'ai plus personne sur terre avec qui partager des souvenirs ».

« Si je suis descendu, écrit-il dans une lettre, je ne regretterai rien. La termitière future m'épouvante…. C’est miracle de piloter à 44 ans le plus rapide monoplace du monde. Je passe seul à bord et seul avion dès cinq heures à dix mille mètres. Cela ne me choque pas trop. Et cependant que je me promène sur la France, je continue d'être pestiféré et mes bouquins d'être interdits en Afrique du Nord ».

 Le lendemain de sa disparition, son ami l'écrivain Jean PREVOST alias commandant GODERVILLE dans le Vercors est abattu près de Sassenage par une patrouille allemande.

 Pierre DALLOZ leur ami écrit : « le destin nous a pris deux grands écrivains. Que n'eussent-ils pas donne dans leur seconde maturité, l’un comme l’autre. Le destin nous a pris deux amis des plus chers. Point de jours que nous ne ressentions au fond de notre cœur le vide qu'ils laissent ».

SAINT-EXUPERY, comme Jean PREVOST, est mort au service de la France, pour un idéal de Paix, de liberté et de tolérance. Voilà ce qu’il faut retenir.

 

 

René Peyre - Notre Voix - Mai 2004