La presse du 8 avril 2004 dernier annonçait que des
débris de l'avion P38 de SAINT-EXUPERY avaient été retrouvés au large de
Marseille à une profondeur de 70 mètres.
Déjà des recherches s'étaient effectuées en 1998 après
la découverte de la gourmette de SAINT-EXUPERY dans les filets d'un bateau de
pêche. L'obstination de quelques personnes aurait donc percé le mystère de la
disparition de SAINT-EXUPERY le 31 juillet 1944.
J'aurais préféré que ces recherches soient
interrompues et que l'on ne connaisse jamais les circonstances de sa mort.
A t-il été victime d'un malaise, a t-il voulu quitter
notre planète, a t-il été abattu par un avion allemand ?
Est-il nécessaire de le savoir ? Laissez-nous croire
qu'il a rejoint le petit prince sur sa planète. Puisse la jeunesse retenir les
messages de l'humaniste, du philosophe, du combattant, du témoin de la débâcle
et de la résurrection qui écrivait dans « Pilote de guerre »: « Nous avons
disposé de gerbes de blé pour vaincre des tanks. Et aujourd'hui l'anéantissement
est consommé. Il n'est plus ni armée, ni réserves, ni liaisons, ni matériel ».
Après la
défaite de 40, SAINT-EXUPERY s'est réfugié aux USA en attendant de pouvoir
contribuer à la libération de la France.
Dans « Pilote
de guerre », « Vol de nuit », « Courrier Sud », « Terre des hommes », SAINT-EXUPERY exprime ses souvenirs, les sentiments qu'il éprouve à bord de son
avion quand il risque sa vie au-dessus d'Arras en flamme, au-dessus des
Pyrénées ou des Andes, quand il contemple les lumières qui brillent sur terre
comme des étoiles et lui inspirent cette réflexion : « parmi ces étoiles
vivantes, combien de fenêtres fermées, combien d'étoiles éteintes, combien
d'hommes endormis ».
En 1926, il
entre dans la compagnie Latécoère à Toulouse dirigée par Didier DAURAT,
contribue au développement de l'aéropostale, assure des vols entre Toulouse et
Dakar, dirige le poste de cap Juby, contribue à la formation de la ligne
d'Amérique du Sud et rédige « Vol de nuit » qui obtient le prix Femina en 1931.
Dans ce livre, le personnage principal. Rivière incarne
Didier DAURAT. C'est un chef exigeant, qui impose aux pilotes, aux radios, aux
mécaniciens, une rigueur qui les protège contre les dangers de leur métier et
leur permet d'acheminer le courrier dans les délais prévus.
Malgré l’autorité de RIVIERE, « une silencieuse
fraternité liait au fond d’eux-mêmes, Rivière et ses pilotes ».
Dans « Terre des hommes », grand prix du
roman de l'Académie Française en 1939, sans doute son meilleur livre, SAINT-EXUPERY écrit : « l'homme se découvre quand il se mesure avec l'obstacle ».
C'est effectivement en luttant contre la tempête, le
vent, la pluie, en survolant la mer, le désert, les montagnes que SAINT-E X et
ses amis, GUILLAUMET, MERMOZ, NERI montrent leur volonté et leur courage.
C'est MERMOZ,
contraint d'atterrir dans les Andes, qui parvient pousser l'avion vers le
précipice : « l'avion dans la chute prit enfin assez vitesse pour obéir de
nouveau aux commandes ».
C'est GUILLAUMET contraint d'atterrir, lui aussi, sur
les Andes qui marche plusieurs jours dans la neige et parvient à reprendre
contact avec ses camarades.
C'est SAINT-EXUPERY, en panne avec PREVOST dans le
désert de Lybie : « nous avons fait ce que nous avons pu : 60 kilomètres
presque sans boire. Les mirages...j'ai levé les bras en criant mais cet homme
qui gesticulait n'était qu'un rocher noir ».
SAINT-EXUPERY écrit dans « Terre des hommes » : « la
grandeur d'un métier est peut-être, avant tout, d'unir des hommes : il n'est
qu'un luxe véritable et c'est celui des relations humaines ».
C'est le sentiment que nous avons éprouvé dans les
services de la Poste et de France Télécom.
Un pilote de son escadrille se souvient du caractère
de SAINT-EXUPERY : « La simplicité de SAINT- EXUPERY était remarquable : il ne
voulait pas qu'on le traitât comme un grand homme et que sa célébrité fut un
obstacle entre lui et ses pilotes ; il voulait être vraiment l'un de nous et y
mettait tout son cœur. Cela lui était d'ailleurs facile car il avait le talent
d'être sociable ; il était impossible de s'ennuyer avec lui. Parfois il nous
défiait aux échecs ou bien il nous faisait des tours de cartes : son habileté
et sa finesse psychologique lui avaient permis d'acquérir, dans ce domaine, une
maîtrise éblouissante ».
SAINT-EXUPERY,
homme sensible, avait noué des liens d'amitié avec MERMOZ, GUILLAUMET, Jean PREVOST,
KESSEL. Il écrit dans « Terre des hommes » : « si je cherche dans mes souvenirs
ceux qui m'ont laissé un goût durable, si je fais le bilan des heures qui ont
compté, à coup sûr je retrouve celles que nulle fortune ne m'eut procurée. On
n'achète pas l'amitié d'un MERMOZ, d'un compagnon que les épreuves vécues
ensemble ont liées pour toujours »
Quand SAINT-EXUPERY retrouve GUILLAUMET qu'il avait
vainement recherché en avion, il éprouve une joie intense.
Il cite dans «
Terre des hommes » cette réflexion de GUILLAUMET : «ce que j'ai fait, je le
jure, jamais aucune bête ne l'aurait fait». Et SAINT-EXUPERY magnifie l'exploit
de son ami : « sa grandeur, c'est de se sentir responsable. Responsable de lui,
du courrier et des camarades qui espèrent. Il tient dans ses mains leur peine
ou leur joie… Responsable un peu du destin des hommes dans la mesure de son
travail. Être homme, c'est précisément être responsable ».
Le grand MERMOZ avait fréquenté DE LA ROCQUE mais
SAINT-EXUPERY n'était pas engagé politiquement. Aussi pouvait-il écrire dans «
Pilote de guerre » : «je combattrai quiconque prétendra asservir à un individu
comme à une masse d'individus, la liberté de l'homme ».
Combien de Chefs d'Etats, combien d'hommes aujourd'hui
se soucient du bonheur de leurs concitoyens, de leur liberté et de leur
sécurité ?
Autre réflexion dans « Lettre à un otage » que l'on
pourrait faire aujourd'hui : « respect de l'homme ! ... Si le respect de
l'homme est fondé dans le cœur des hommes, les hommes finiront bien par fonder
en retour le système social, politique ou économique qui consacrera ce respect
». Hélas, en l'an 2004 on ne peut pas écrire que le respect de l'homme s'impose
dans le monde entier !
L'humanisme de SAINT-EXUPERY s'exprime fortement dans
ce paragraphe de « Terre des hommes » : « Pourquoi nous haïr ? Nous sommes
solidaires, emportés par la même planète, équipage d'un même navire. Et s'il est
bon que des civilisations s'opposent pour favoriser des synthèses nouvelles il
est monstrueux qu'elles s'entre-dévorent ».
Ce message n'est-il pas toujours d'actualité ?
Alors qu'il avait obtenu, non sans difficulté en
raison de son âge, l'autorisation de reprendre du service, de piloter des
avions modernes très rapides qui lui permettaient de survoler la France, SAINT- EXUPERY se sentait seul après la mort de ses meilleurs amis et parfois laissait
percer sa mélancolie, sa tristesse et ses inquiétudes.
Quand il apprend en 1940 la mort de GUILLAUMET il
souffre : GUILLAUMET est mort il me semble ce soir que je n'ai plus d'amis. Je
suis le seul qui reste de l'équipe de Dakar. Je n'ai plus personne sur terre
avec qui partager des souvenirs ».
« Si je
suis descendu, écrit-il dans une lettre, je ne regretterai rien. La termitière
future m'épouvante…. C’est miracle de piloter à 44 ans le plus rapide monoplace
du monde. Je passe seul à bord et seul avion dès cinq heures à dix mille
mètres. Cela ne me choque pas trop. Et cependant que je me promène sur la France, je continue d'être pestiféré et mes bouquins d'être
interdits en Afrique du Nord ».
SAINT-EXUPERY, comme Jean PREVOST, est mort au service de la France, pour un idéal de Paix, de liberté et de tolérance. Voilà ce qu’il faut retenir.
René
Peyre - Notre Voix - Mai 2004
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