Article de Marion Cocquet pour le journal Le Point (13/03/2024)
© CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP |
Un géant s'est éteint. L'amiral Philippe de Gaulle, fils du
général de Gaulle, est mort dans la nuit du mardi au
mercredi 13 mars, a fait savoir sa famille auprès de BFMTV. Il
était âgé de 102 ans.
Nous sommes le 9 novembre 1970. À Colombey, le Général
meurt d'une rupture d'anévrisme alors qu'il attend le journal télévisé et le
repas du soir, assis près de sa femme dans son fauteuil de tous les jours. On
prévient les amis et les enfants. Philippe, l'aîné, arrive le lendemain à La
Boisserie. Il se recueille devant le corps, l'embrasse puis, avant de faire
fermer le cercueil rustique apporté par le menuisier du village, il effleure
l'arrière du crâne. Pour savoir, racontera-t-il, si son père et lui avaient
bien le même méplat en haut de la nuque. Affirmatif.
C'est la première fois ce jour-là que
« l'Amiral », à près de 50 ans, touche la tête de son père. On
se caressait peu, dans la famille de Gaulle, pas plus en privé qu'en public. Ce
que le grand Charles avait de mots doux et de douceur dans les gestes, il le
réservait à Anne, sa fille trisomique morte à 20 ans dans ses bras.
Philippe, lui, eut la confiance sans les effusions ainsi qu'une exceptionnelle
ressemblance avec le grand Charles : mêmes paupières lourdes, même stature
haute et droite, mêmes longs bras, même façon de les écarter un peu en parlant.
Même méplat.
Philippe raconte cela dans Charles de Gaulle,
mon père (Plon), écrit à 80 ans avec le journaliste Michel
Tauriac. Quatre-vingts ans, l'âge du Général au moment de sa disparition.
Il ne songe pas à se plaindre de ces froideurs, trop occupé à restaurer la
légende dorée de son père. En faisant ce livre, il voulait, disait-il,
« remettre les pendules à l'heure » et effacer les mauvais procès
faits à de Gaulle : son antisémitisme supposé, sa volonté prétendue
d'avoir voulu « brader » l'Algérie. Le résultat est une hagiographie
qui rétablit des vérités mais gomme certains épisodes pourtant bien documentés
(comme lorsqu'elle nie le bras de fer entre de Gaulle et Churchill, lors de
l'appel du 18 juin).
C'est un formidable succès : plus de 500 000
exemplaires sont vendus de chacun des deux tomes. Un paradoxe, aussi. En
défendant la statue du Commandeur, l'Amiral quitte enfin son ombre et devient
un personnage public. Y trouve-t-il du plaisir ? On peut le supposer à le
voir multiplier les plateaux télé, y compris les moins adaptés à sa gravité
d'un autre âge.
« Je lui étais semblable, dans le petit »
Qu'a été sa vie, avant cela ? Il naît le
28 décembre 1921, à Paris. Élève au collège Stanislas, il dévore les
romans de Paul Chack, officier de marine et écrivain (qui sera exécuté à la
Libération pour avoir activement collaboré avec l'occupant nazi). Très vite,
Philippe s'oriente vers une carrière militaire et entre en 1940 à
l'École navale. Le 18 juin, il est en route vers Londres avec sa mère et
ses s?urs et « manque » l'appel de son père. Il rejoint immédiatement
les Forces françaises libres, débarque en Normandie parmi les premiers,
participe à la sanglante bataille d'Alsace et à la libération de Paris. Il
glane là ses premières médailles.
Vaillant, donc. Cela allait de soi. C'est lui qui doit
rappeler ses faits d'armes à son père lorsque celui-ci rédige ses Mémoires
de guerre. « Ah oui, c'est vrai », répond Charles, qui ajoute
alors dans le manuscrit cette phrase, un brin laconique : « Mon fils
continue de se battre avec la 2e DB. »
Après-guerre, Philippe poursuit sa carrière dans la marine,
une arme pourtant hostile au Général et où on lui pardonne difficilement son
ascendance. Il sera, toute sa vie, soupçonné d'avoir bénéficié de hautes
protections. On l'appelle Sosthène, du nom d'un vicomte de La Rochefoucauld,
piètre militaire et piètre politique, connu pour avoir allongé les robes des
danseuses de l'Opéra et caché à coups d'emplâtre les nudités des statues.
« J'aurais pu naître fils de Pygmée ou de Bantou, confiait-il au Figaro en
2003. Le sort en a décidé autrement. Il m'a beaucoup transmis. Je lui étais
semblable, dans le petit » Philippe racontait aussi qu'un jour, tout de
même, le général avait posé sa grande main sur la sienne et dit :
« Je sais tout, vieux garçon. Ta position n'a jamais été facile. Ce n'est
pas rien d'être le fils du général de Gaulle. Mais ton attitude a toujours été
celle que j'attendais de toi. »
Video associée : https://www.dailymotion.com/video/x8ubik4
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